Premier âge
Depuis l’âge de sept ans, je sais que je suis hétéro. En fait et évidemment, je n’en avais pas conscience. Même si j’avais alors atteint ce que l’on nomme l’âge de raison ! D’aussi loin que je me rappelle, j’étais en effet en vacances chez mes grands-parents quand cette année-là, l’année de mes sept ans donc, en face de leur maison, il y avait une épicerie et la personne qui la tenait était une femme que je trouvais alors super canon ! Je ne me lassais pas de la regarder s’activer devant sa devanture. Ce n’est que plus tard que j’ai fait le rapprochement entre mon attirance pour les femmes et cette commerçante qui me fascinait quand j’étais petit…
A l’école, je préférais jouer avec les garçons plutôt qu’avec les filles. Tous les autres de ma classe passaient leur temps avec les filles à la récré ; moi, non. J’avais déjà conscience que ce n’était pas là une attitude « normale » : j’aurais DÛ jouer avec les filles dans la cour d’école, comme tout le monde ! mais non. Moi, c’était la compagnie des garçons qui m’intéressaient. Les plaisanteries bien grasses, les crasses faites aux filles – leur tirer les cheveux, les bousculer, les faire tomber par terre, …leur soulever leurs jupes même !! – et pas faire des jeux sensibles et délicats avec elles… Non. La marelle, le jeu de l’élastique, les poupées, jouer à la marchande, tout ça ne me disait rien. Moi, je préférais les camions de pompier, les petites voitures, la boxe, la bagarre.
Au collège, avec la sexualité naissante de l’adolescence, je me suis mis à guigner les filles qui se déshabillaient dans le vestiaire de gym. Oh, l’air de rien, de ne pas y toucher… Je prenais plus de temps pour me changer pour mieux traîner dans le gymnase. Je ne disais rien, je ne faisais juste que regarder, à la manière d’un bigleux, avec le regard de travers. J’aimais bien quand les filles posaient leurs jupes et se retrouvaient en petites socquettes et en culottes. Elles bavardaient gaiement sans se soucier du regard des autres ; elles n’éprouvaient aucune gêne. J’emmagasinais des images et le soir, seul, dans mon lit, je me les remémorais et ça me faisait bander et j’en profitais pour me branler.
Un dimanche après-midi, chez les amis de mes parents, j’ai proposé à leurs enfants, un garçon et une fille, de jouer au docteur. Je ne voulais bien évidemment pas jouer avec le garçon, mais avec sa grande sœur. Mais nous ne pouvions pas nous en débarrasser comme ça : il fallait intégrer ce petit morveux dans le jeu. Alors, on prétextait du secret médical pour fermer la porte de la chambre pendant le « temps de la consultation ». C’est comme ça que j’ai touché le premier sexe féminin de ma vie. Ca a été une expérience marquante. On a remis ça plusieurs fois par la suite, en douce de nos parents respectifs, à chaque fois qu’ils se réunissaient pour faire la fête ensemble.
Au lycée, j’étais le seul de ma classe à ne pas avoir de petits copains. Tous les autres mecs sortaient avec des garçons, sauf moi. J’étais solitaire. Evidemment, je ne pouvais pas leur avouer que moi je n’étais pas comme eux ; moi, je n’aimais pas les garçons, j’aimais les filles. Horreur ! A l’époque, les mœurs n’étaient pas si ouvertes que maintenant – encore que maintenant le sont-elles tant que ça ? Toujours est-il que je ne fréquentais personne. Juste un copain avec qui j’avais sympathisé en début de terminale. Lui redoublait, il était nouveau dans la classe (on se suivait pratiquement tous depuis la seconde). Au bout de quelques semaines on s’est assis côte à côte à la même table et on a fini scotchés tous les jours de cette année-là, l’un à l’autre, à rire et à plaisanter et à imiter les profs entre nous. Evidemment, ce n’était pas mon amoureux ; mais notre complicité faisait croire à tous que nous sortions ensemble. Ca me procurait une couverture vis-à-vis du reste de la société – camarades de classe, parents, famille… – pour eux tous, je n’étais pas bizarre puisque je sortais avec un garçon. Pas de quoi s’inquiéter, pas de quoi s’interroger sur ma sexualité : je n’étais pas « anormal », je faisais comme tout le monde à cet âge : je m’amusais avec un garçon !
Parallèlement, j’en profitais pour lire – en douce – les magazines érotiques qui présentaient des filles à poil. Je savais que ça existait mais je n’osais pas trop en acheter : ils étaient disposés en rayon tout au sommet des étagères, là où celui qui va se servir est tout de suite repéré… Alors je rongeais mon frein. Avant l’âge d’Internet (si, si, c’est une période qui a existé), il était plus difficile de voir des femmes nues librement. Il fallait soit acheter des magazines « spécialisés », soit emprunter des cassettes vidéos pornos – dans des sex-shops – soit feuilleter à la Fnac des livres sur la photographie traitant du nu féminin… Autrement dit, ce n’était pas gagné d’avance d’assouvir ses penchants « déviants ».
Je suis passé par des hauts et des bas, pendant ma première année de fac. Je n’arrivais pas à rencontrer quelqu’un. J’ai essayé de fréquenter le « milieu » : la communauté des hétéros qui n’avaient pas honte de s’afficher publiquement avec une femme. Mais je n’étais pas franchement doué pour ce genre de revendication publique et la petite ville dans laquelle je vivais n’avait pas franchement de quartier ouvertement straight. Les gens se voyaient surtout le soir, dans un endroit reculé, où ils s’y donnaient rendez-vous. Je trouvais ça plutôt glauque et puis il fallait justifier auprès de mes parents ces sorties nocturnes à l’autre bout de la ville… Trop compliqué.
J’ai tenté pendant un temps de changer de sexualité. Je me suis beaucoup posé de questions. Je voulais à tout prix être dans la norme, comme les autres, faire comme tout le monde : avoir un petit copain, vivre maritalement, adopter un chien, partir en vacances loin, souvent, à l’étranger… Je me suis même inscrit dans une agence matrimoniale, histoire de rencontrer l’âme frère que je n’arrivais pas à me dégotter par moi-même, incapable de draguer tout seul. Au bout de la quatrième rencontre d’un mec que je trouvais tout aussi peu attirant que les trois précédents, j’ai cessé de répondre aux propositions de l’agence. Ca m’a coûté plus de 6.000 francs (de l’époque des francs… c’est-à-dire la préhistoire !).
J’ai failli me suicider. Pourquoi est-ce que j’étais comme ça ? Pourquoi fallait-il que j’aime les filles et pas les mecs ? Pourquoi moi ? Je suis passé par des moments de déprime, de cafard, où je broyais du noir à longueur de journées, de soirées, de week-ends. Le week-end surtout. Quand les copains sortent tous en boites avec leurs mecs et que je suis le seul à jouer les célibataires. Quand ils sont tous là à se rouler des pèles, à se prendre par la main, à se bécoter sans arrêt et que je suis comme un con à les regarder, envieux, désespéré de ne pas pouvoir afficher au grand jour ma différence – pouvoir flirter moi aussi, mais avec une fille, c’est toute la nuance !
Et puis un jour, j’ai décidé de faire mon coming out. J’avais lu ce truc dans un magazine pour hétéros que j’avais acheté chez un marchand de presse dans le hall de la gare de Lyon, tandis que je rentrais de voyage après avoir passé un concours loin de chez moi. J’avais pris mon courage à deux mains et, après avoir bien réfléchi, j’en étais arrivé à la conclusion qu’en achetant cette presse dite licencieuse et même si je devais subir les éventuels regards réprobateurs des autres clients, je ne risquais pas grand-chose : j’avais peu de chance de croiser quelqu’un de mes connaissances qui pourrait me surprenant en train de feuilleter Téton. C’est là que j’y ai lu l’article sur le coming out, ces hétéros qui décidaient de tout révéler à leurs parents ; les conséquences que cela pouvaient avoir sur leurs relations avec leur famille, leurs amis, leurs collègues de travail, le soulagement, ce qu’ils appelaient « la sortie du placard ».
Alors, je me suis lancé. Un dimanche à midi, j’ai décidé de tout révéler. J’avais le cœur qui battait la chamade. J’avais l’appétit coupé. Je ne savais pas comment m’y prendre. Je tournais et retournais les mots, les phrases dans ma tête, changeant les approches, réécrivant les répliques, imaginant les réactions. Et puis, au moment du dessert, c’est venu tout seul, d’un coup : « – Papa, maman, j’ai quelque-chose à vous dire. (silence) Voilà, je suis hétéro. »
Mon père a pâli. Ma mère a blanchi. Elle tenait le saladier de mousse au chocolat. Il lui est tombé des mains. Elle est restée les bras ballants, elle l’a regardé se fracasser sur le sol, éclater en mille morceaux, le chocolat faire un grand floc ! éclabousser ses collants, ses chaussures, le bas de sa robe. Elle s’est mise à trembler. Comme ça. Sans raison. Comme si le froid polaire s’était soudainement abattu sur la maison, en plein été. Elle a éclaté en sanglots. Alors mon père a viré au rouge. Il m’a crié dessus : « – T’as pas honte ! Dis, mais t’as pas honte ! Tu fais pleurer ta mère ! T’es fier de toi ?! Mais qu’est-ce qu’on a fait, bon Dieu, mais qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ? Je sais pas c’qui m’retient de … » en levant la main sur moi, dans un geste qu’il s’est toutefois retenu de poursuivre. Il s’est assis, de guingois, s’est retourné sur sa chaise, regardant ma mère qui sanglotait toujours, recroquevillée sur elle-même. Il s’est relevé. Il m’a regardé, l’œil mauvais, et il m’a craché entre ses dents : « – Tu n’es plus mon fils ! C’est plus la peine de remettre les pieds ici ».
Je ne comprenais pas. Nous sommes tous des êtres humains, nous aspirons tous à l’amour. Nous ne choisissons pas les uns – la majorité – d’être homos, les autres – un dixième de la population paraît-il – d’aimer le sexe opposé. Moi, en tout cas, je n’ai pas choisi de préférer les femmes aux mecs et pourtant, Dieu sait que j’aurais aimé être comme tout le monde ! J’ai regardé ma mère. Elle n’a pas réagi aux paroles de mon père qui me chassait. Elle n’a fait que continuer de pleurer entre ses mains. Alors je suis parti. Je suis remonté dans ma chambre, j’ai fait ma valise – un sac de voyage un peu pourri. Je ruminais sans cesse en pensant qu’ils étaient tous les deux des gros cons, que je n’en avais rien à foutre de leur intolérance, que je n’avais pas besoin d’eux, d’ailleurs que je n’avais jamais eu besoin d’eux… et puis je suis parti.
Depuis l’âge de sept ans, je sais que je suis hétéro. En fait et évidemment, je n’en avais pas conscience. Même si j’avais alors atteint ce que l’on nomme l’âge de raison ! D’aussi loin que je me rappelle, j’étais en effet en vacances chez mes grands-parents quand cette année-là, l’année de mes sept ans donc, en face de leur maison, il y avait une épicerie et la personne qui la tenait était une femme que je trouvais alors super canon ! Je ne me lassais pas de la regarder s’activer devant sa devanture. Ce n’est que plus tard que j’ai fait le rapprochement entre mon attirance pour les femmes et cette commerçante qui me fascinait quand j’étais petit…
A l’école, je préférais jouer avec les garçons plutôt qu’avec les filles. Tous les autres de ma classe passaient leur temps avec les filles à la récré ; moi, non. J’avais déjà conscience que ce n’était pas là une attitude « normale » : j’aurais DÛ jouer avec les filles dans la cour d’école, comme tout le monde ! mais non. Moi, c’était la compagnie des garçons qui m’intéressaient. Les plaisanteries bien grasses, les crasses faites aux filles – leur tirer les cheveux, les bousculer, les faire tomber par terre, …leur soulever leurs jupes même !! – et pas faire des jeux sensibles et délicats avec elles… Non. La marelle, le jeu de l’élastique, les poupées, jouer à la marchande, tout ça ne me disait rien. Moi, je préférais les camions de pompier, les petites voitures, la boxe, la bagarre.
Au collège, avec la sexualité naissante de l’adolescence, je me suis mis à guigner les filles qui se déshabillaient dans le vestiaire de gym. Oh, l’air de rien, de ne pas y toucher… Je prenais plus de temps pour me changer pour mieux traîner dans le gymnase. Je ne disais rien, je ne faisais juste que regarder, à la manière d’un bigleux, avec le regard de travers. J’aimais bien quand les filles posaient leurs jupes et se retrouvaient en petites socquettes et en culottes. Elles bavardaient gaiement sans se soucier du regard des autres ; elles n’éprouvaient aucune gêne. J’emmagasinais des images et le soir, seul, dans mon lit, je me les remémorais et ça me faisait bander et j’en profitais pour me branler.
Un dimanche après-midi, chez les amis de mes parents, j’ai proposé à leurs enfants, un garçon et une fille, de jouer au docteur. Je ne voulais bien évidemment pas jouer avec le garçon, mais avec sa grande sœur. Mais nous ne pouvions pas nous en débarrasser comme ça : il fallait intégrer ce petit morveux dans le jeu. Alors, on prétextait du secret médical pour fermer la porte de la chambre pendant le « temps de la consultation ». C’est comme ça que j’ai touché le premier sexe féminin de ma vie. Ca a été une expérience marquante. On a remis ça plusieurs fois par la suite, en douce de nos parents respectifs, à chaque fois qu’ils se réunissaient pour faire la fête ensemble.
Au lycée, j’étais le seul de ma classe à ne pas avoir de petits copains. Tous les autres mecs sortaient avec des garçons, sauf moi. J’étais solitaire. Evidemment, je ne pouvais pas leur avouer que moi je n’étais pas comme eux ; moi, je n’aimais pas les garçons, j’aimais les filles. Horreur ! A l’époque, les mœurs n’étaient pas si ouvertes que maintenant – encore que maintenant le sont-elles tant que ça ? Toujours est-il que je ne fréquentais personne. Juste un copain avec qui j’avais sympathisé en début de terminale. Lui redoublait, il était nouveau dans la classe (on se suivait pratiquement tous depuis la seconde). Au bout de quelques semaines on s’est assis côte à côte à la même table et on a fini scotchés tous les jours de cette année-là, l’un à l’autre, à rire et à plaisanter et à imiter les profs entre nous. Evidemment, ce n’était pas mon amoureux ; mais notre complicité faisait croire à tous que nous sortions ensemble. Ca me procurait une couverture vis-à-vis du reste de la société – camarades de classe, parents, famille… – pour eux tous, je n’étais pas bizarre puisque je sortais avec un garçon. Pas de quoi s’inquiéter, pas de quoi s’interroger sur ma sexualité : je n’étais pas « anormal », je faisais comme tout le monde à cet âge : je m’amusais avec un garçon !
Parallèlement, j’en profitais pour lire – en douce – les magazines érotiques qui présentaient des filles à poil. Je savais que ça existait mais je n’osais pas trop en acheter : ils étaient disposés en rayon tout au sommet des étagères, là où celui qui va se servir est tout de suite repéré… Alors je rongeais mon frein. Avant l’âge d’Internet (si, si, c’est une période qui a existé), il était plus difficile de voir des femmes nues librement. Il fallait soit acheter des magazines « spécialisés », soit emprunter des cassettes vidéos pornos – dans des sex-shops – soit feuilleter à la Fnac des livres sur la photographie traitant du nu féminin… Autrement dit, ce n’était pas gagné d’avance d’assouvir ses penchants « déviants ».
Je suis passé par des hauts et des bas, pendant ma première année de fac. Je n’arrivais pas à rencontrer quelqu’un. J’ai essayé de fréquenter le « milieu » : la communauté des hétéros qui n’avaient pas honte de s’afficher publiquement avec une femme. Mais je n’étais pas franchement doué pour ce genre de revendication publique et la petite ville dans laquelle je vivais n’avait pas franchement de quartier ouvertement straight. Les gens se voyaient surtout le soir, dans un endroit reculé, où ils s’y donnaient rendez-vous. Je trouvais ça plutôt glauque et puis il fallait justifier auprès de mes parents ces sorties nocturnes à l’autre bout de la ville… Trop compliqué.
J’ai tenté pendant un temps de changer de sexualité. Je me suis beaucoup posé de questions. Je voulais à tout prix être dans la norme, comme les autres, faire comme tout le monde : avoir un petit copain, vivre maritalement, adopter un chien, partir en vacances loin, souvent, à l’étranger… Je me suis même inscrit dans une agence matrimoniale, histoire de rencontrer l’âme frère que je n’arrivais pas à me dégotter par moi-même, incapable de draguer tout seul. Au bout de la quatrième rencontre d’un mec que je trouvais tout aussi peu attirant que les trois précédents, j’ai cessé de répondre aux propositions de l’agence. Ca m’a coûté plus de 6.000 francs (de l’époque des francs… c’est-à-dire la préhistoire !).
J’ai failli me suicider. Pourquoi est-ce que j’étais comme ça ? Pourquoi fallait-il que j’aime les filles et pas les mecs ? Pourquoi moi ? Je suis passé par des moments de déprime, de cafard, où je broyais du noir à longueur de journées, de soirées, de week-ends. Le week-end surtout. Quand les copains sortent tous en boites avec leurs mecs et que je suis le seul à jouer les célibataires. Quand ils sont tous là à se rouler des pèles, à se prendre par la main, à se bécoter sans arrêt et que je suis comme un con à les regarder, envieux, désespéré de ne pas pouvoir afficher au grand jour ma différence – pouvoir flirter moi aussi, mais avec une fille, c’est toute la nuance !
Et puis un jour, j’ai décidé de faire mon coming out. J’avais lu ce truc dans un magazine pour hétéros que j’avais acheté chez un marchand de presse dans le hall de la gare de Lyon, tandis que je rentrais de voyage après avoir passé un concours loin de chez moi. J’avais pris mon courage à deux mains et, après avoir bien réfléchi, j’en étais arrivé à la conclusion qu’en achetant cette presse dite licencieuse et même si je devais subir les éventuels regards réprobateurs des autres clients, je ne risquais pas grand-chose : j’avais peu de chance de croiser quelqu’un de mes connaissances qui pourrait me surprenant en train de feuilleter Téton. C’est là que j’y ai lu l’article sur le coming out, ces hétéros qui décidaient de tout révéler à leurs parents ; les conséquences que cela pouvaient avoir sur leurs relations avec leur famille, leurs amis, leurs collègues de travail, le soulagement, ce qu’ils appelaient « la sortie du placard ».
Alors, je me suis lancé. Un dimanche à midi, j’ai décidé de tout révéler. J’avais le cœur qui battait la chamade. J’avais l’appétit coupé. Je ne savais pas comment m’y prendre. Je tournais et retournais les mots, les phrases dans ma tête, changeant les approches, réécrivant les répliques, imaginant les réactions. Et puis, au moment du dessert, c’est venu tout seul, d’un coup : « – Papa, maman, j’ai quelque-chose à vous dire. (silence) Voilà, je suis hétéro. »
Mon père a pâli. Ma mère a blanchi. Elle tenait le saladier de mousse au chocolat. Il lui est tombé des mains. Elle est restée les bras ballants, elle l’a regardé se fracasser sur le sol, éclater en mille morceaux, le chocolat faire un grand floc ! éclabousser ses collants, ses chaussures, le bas de sa robe. Elle s’est mise à trembler. Comme ça. Sans raison. Comme si le froid polaire s’était soudainement abattu sur la maison, en plein été. Elle a éclaté en sanglots. Alors mon père a viré au rouge. Il m’a crié dessus : « – T’as pas honte ! Dis, mais t’as pas honte ! Tu fais pleurer ta mère ! T’es fier de toi ?! Mais qu’est-ce qu’on a fait, bon Dieu, mais qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ? Je sais pas c’qui m’retient de … » en levant la main sur moi, dans un geste qu’il s’est toutefois retenu de poursuivre. Il s’est assis, de guingois, s’est retourné sur sa chaise, regardant ma mère qui sanglotait toujours, recroquevillée sur elle-même. Il s’est relevé. Il m’a regardé, l’œil mauvais, et il m’a craché entre ses dents : « – Tu n’es plus mon fils ! C’est plus la peine de remettre les pieds ici ».
Je ne comprenais pas. Nous sommes tous des êtres humains, nous aspirons tous à l’amour. Nous ne choisissons pas les uns – la majorité – d’être homos, les autres – un dixième de la population paraît-il – d’aimer le sexe opposé. Moi, en tout cas, je n’ai pas choisi de préférer les femmes aux mecs et pourtant, Dieu sait que j’aurais aimé être comme tout le monde ! J’ai regardé ma mère. Elle n’a pas réagi aux paroles de mon père qui me chassait. Elle n’a fait que continuer de pleurer entre ses mains. Alors je suis parti. Je suis remonté dans ma chambre, j’ai fait ma valise – un sac de voyage un peu pourri. Je ruminais sans cesse en pensant qu’ils étaient tous les deux des gros cons, que je n’en avais rien à foutre de leur intolérance, que je n’avais pas besoin d’eux, d’ailleurs que je n’avais jamais eu besoin d’eux… et puis je suis parti.









