Re: Guitare [English Version included]
Chap. XXVIII
Quentin a une faculté extraordinaire de rebondir dans la vie, qui me fascine. Au cours de ce week-end, il n’a pas hésité à tromper allègrement sa bonne-amie en titre, avant de se faire légitimement larguer par cette dernière. Il a éclaté en sanglot devant moi, parfait inconnu si l’on y réfléchit bien qui n’avait jamais eu de véritable relation amicale avec lui au cours de l’année scolaire passée, ni des années antérieures de lycée ou de collège d’ailleurs. Il m’a tripatouillé bite et couilles – et pas qu’à moi entre nous soit dit – m’a branlé plusieurs fois, s’y est essayé avec Sébastien, a eu moins de chance avec Damien – encore que je ne sache pas tout ce qui a pu se passer la nuit dernière. S’est fait rembarré, traité de chieur. Son week-end a failli tourner au vinaigre par la défection d’abord de quatre de ses membres, les quatre filles qu’il avaient invitées ; les quatre restants, quatre garçons, nous nous sommes écharpés au cours de notre escapade de dimanche après-midi ; la réconciliation n’est que balbutiante ce matin. Et lui, Quentin, frais comme un gardon, vient d’imaginer une nouvelle facétie pour relancer l’ambiance et re-dynamiser notre groupe, en se grimant de la tête aux pieds tel un zoulou ou un pygmée, je ne sais pas. Sans crainte du ridicule. Et pourtant il l’est vraiment, dans cet accoutrement, à huit heures du matin, alors que nous déjeunons et que nous émergeons à peine, les uns les autres, d’une nuit de sommeil assez peu régénératrice…
Evidemment que son déguisement nous fait tous nous esclaffer. Mais sa joie de vivre – un peu épuisante, parfois, il faut bien le reconnaître – sait judicieusement nous redonner la pêche pour cette dernière journée. Nous nous levons tous de table pour nous rapprocher de lui, bras sur l’épaule, à le questionner sur sa nouvelle lubie. Il se refuse obstinément à nous dévoiler ce qui lui trotte par la tête, se contentant de rabâcher que c’est une surprise et que nous verrons bien. « On va voir c’ qu’on va voir » est son leitmotiv, nous rappelant que nous sommes indignes d’avoir commencé à manger sans lui. Et de se jeter sur le petit-déjeuner comme un glouton…
Si moi je ne mange jamais le matin, je peux dire qu’il n’en est pas de même de mes trois compagnons ! A croire que chacun tente de gagner un hypothétique pari de celui qui enfournera le plus de nourriture et avalera le plus grand bol de café ou de chocolat au lait… Cette convivialité autour de la table a au moins l’avantage de relancer la conversation, chacun y allant de son commentaire ou de ses réflexions sur l’affublement de Quentin et, d’une manière générale, sur les civilisations africaine, amérindienne ou européenne qu’il sous-tend, avec leurs avantages et leurs inconvénients. On frise même le combat politique dans cet échange d’idées de jeunes adultes de dix-huit ans ou presque.
J’avoue que, pour ma part, ayant peu d’idées préconçues et surtout peu de connaissances réelles sur ces peuplades dites primitives, ayant à vrai dire en fait peu d’intérêt pour l’Afrique ou l’Amérique – qu’elle soit latine, antique ou anglo-saxonne – je me garde bien d’exposer avec fracas mon opinion et de défendre mes idées avec acharnement. J’ai en revanche plaisir à observer tout ce petit monde, qui, s’éloignant des rivages de l’adolescence fantasque et abêtissante, a su devenir sérieux et passionné le temps d’un repas, autour de la question de l’histoire de l’humanité et du devenir du monde. Tout ça à partir d’une énième bouffonnerie de Quentin…!
Tandis que chacun est désormais rassasié et que la conversation « sérieuse » a fini par s’éteindre par faute de munitions, nous entreprenons de débarrasser la table. Non sans avoir reçu la consigne impérieuse de Quentin : obligation de passer à la table de maquillage tout de suite après ! Ces instructions nous amusent. Comme de serviles soldats, nous suivons donc notre chef qui nous demande de rester debout, dehors, pendant qu’il va chercher le matériel nécessaire pour tous nous barbouiller à son image. Aussitôt dit, aussitôt fait, il revient effectivement avec un vanity-case devant appartenir à sa mère, dans lequel il a entassé, pêle-mêle, tubes de rouge à lèvres, onguents, blush, mascaras et autres fond de teint. Il dépose son paquet à même le sol et s’empare d’abord du tube de rouge à lèvres.
Je ne sais pas si Madame PERRILLAT – la maman de Quentin – porte ce type de maquillage, à moins que sur elle cela soit réellement avantageux, autrement je trouve cette couleur de rouge un peu tendancieuse, limite pouffiasse ! Quentin s’étant érigé maître-perruquier ne laisse à personne le soin de nous grimer. Et commence naturellement à barbouiller les lèvres de ce pauvre Sébastien de ce rouge infâme, débordant à qui mieux-mieux de leur pourtour… Ce qui le rend un peu féminin, ses yeux bleus pétillants faisant éclat avec ce rouge vif sur le bas de son visage. Lui n’est nullement gêné, toujours aussi rieur et réjoui. Quentin termine en traçant trois traits à l’iroquoise de part et d’autres de sa bouche, sur ses joues. Il se recule, visiblement satisfait de son œuvre, et s’approche de moi pour faire de même.
Je ne peux m’empêche de protester et de lui intimer l’ordre de ne pas m’affubler de rouge sur les lèvres comme il vient de le faire pour Sébastien. Je ne veux pas paraître plus efféminé que je crois que le monde me voit. C’est évidemment la requête à ne pas formuler : Quentin s’empresse de me maculer les lèvres de rouge, mais je me défends et son geste dévie un peu plus encore que pour Sébastien, me traçant une grande balafre en travers jusqu’au menton. Je râle ; les autres éclatent de rire ; Quentin s’entête ; je persiste à résister ; Quentin râle à son tour. Nous finissons par passer un compromis, tous les deux : va pour les traits bardant mes joues, quatre, cinq, six s’il le souhaite, mais pas, plus de rouge sur les lèvres. J’ai droit en définitive – parce que Quentin veut avoir le dernier mot – à un grand cercle entièrement rempli sur chacune de mes pommettes… Je juge ça toutefois moins grotesque que des lèvres débordantes de rouge !
Au tour de Damien de se laisser farder. Il est finalement, lui-aussi, modérément favorable à se laisser maquiller comme une femme. Si ses protestations sont moins ouvertes que les miennes – faux-cul va ! – il bouge malgré tout, et du visage et du corps tout entier, faisant immanquablement dévier la main déjà peu experte de Quentin en la matière. Le résultat n’est donc pas extraordinaire… Compte tenu au surplus que Damien porte le bouc, de ce fait légèrement tâché de rouge, l’ensemble n’est pas du meilleur effet, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les traits sur les joues se transforment d’ailleurs pour lui en croix pattées, sans bien savoir pourquoi…
Quentin abandonne ensuite son tube de rouge à lèvres largement diminué – que va penser sa mère ? – pour s’emparer cette fois du fond de teint en vue de nous en enduire le corps au maximum. Voilà encore une occasion de nous palper un peu partout, pense-je en moi-même… Et, de fait, il commence, muni d’une grosse couche au creux de la main, à nous passer du fond de teint sur tout le ventre, le torse et les épaules, descendant aux avants-bras et aux bras, débordant légèrement sur les omoplates et le haut du dos. D’abord moi. Je sens sa main glisser sur ma peau, minutieusement, enduisant avec application la crème brunissante. Mais je dois lui reconnaître qu’il ne profite pas de la situation, du moins pour l’instant. Vient ensuite Damien, puis Sébastien, avec lesquels il opère de même.
Ce fond de couleur étant maintenant appliqué, il passe au mascara, en tentant de dessiner avec des formes géométriques plus ou moins complexes par-dessus le fond de teint. Mais le résultat n’est apparemment pas à la hauteur de ses espérances. Il est vrai que le crayon à mascara n’est pas fait pour ça ! Il reprend donc en main le tube de rouge à lèvres et achève son œuvre avec celui-ci. Il faut lui reconnaître un certain talent et une connaissance approfondie des cultures primitives, arrivant assez justement à recréer les peintures festives ou guerrières des peuples indigènes.
Comme il lui reste encore du fond de teint – il a dû dévaliser tout le stock de la salle de bain – Quentin décide de s’attaquer à nos jambes et à nos fesses, sans oublier bien sûr nos bites bien flasques… C’est Damien qui y a droit en premier – heureux homme ! Et, étonnement, il se laisse faire sans broncher… Y aurait-il eu quelque-chose cette nuit qui les aurait rapproché ?! Il ne proteste même pas lorsque Quentin prend bien soin de brunir son pénis, avant de le rehausser d’une touche de rouge à lèvre par un trait tracé à la verticale ! Je passe à mon tour à la casserole, si je puis dire et je tente, héroïquement – si, si – de me comporter aussi distinctement que Damien. Bon, d’accord, ce n’est pas si difficile que ça pour moi… Mais je n’apprécie pas spécialement malgré tout que Quentin se permette, une énième fois, ce genre de privautés sur ma petite personne ! Ce dernier passe ensuite à Sébastien qui prend tout – comme toujours – avec le sourire.
Nous voilà maintenant fin prêts à exécuter la danse du scalp à grands renforts de hululements et de coups de tambours. C’est ce que fait valoir en riant l’un de nous à Quentin, mais celui-ci nous annonce triomphalement, que nous sommes tous les quatre appelés à défiler dans cet accoutrement dans sa rue et jusqu’à la boucherie implantée un peu en contrebas, sur l’axe passant du quartier – boucherie censée représenter le grand territoire de chasse des petits hommes noirs que nous sommes devenus ! Nous nous regardons, Sébastien, Damien et moi, interloqués. Et d’une, il n’est pas question que nous défilions dans un tel accoutrement, entièrement nus, même (partiellement) grimés, dans les rues de cette ville ; et de deux, nous sommes un lundi férié et le boucher a certainement tiré le rideau de sa boutique pour profiter, lui-aussi, de ce jour de repos supplémentaire…
Erreur, nous rétorque Quentin, aujourd’hui, comme tous les lundis, la boucherie est ouverte. La preuve, cet écriteau apposé sur sa devanture la semaine précédente, avertissant son « aimable clientèle » d’un tel service ! Ce boucher est trop bon ; nous n’en demandions pas tant ! Mais quand bien même la boucherie serait ouverte, il reste que nous refusons catégoriquement de nous balader à poil dans le quartier. Un débat houleux ne peut que s’instaurer entre nous, avec d’un côté Quentin prêchant pour que nous relevions tous ensemble – lui y compris – ce défi, faisant au passage valoir que Sébastien l’a déjà fait ce samedi, même si, c’est vrai, il n’est allé qu’au bout de la rue, mais quand même, il fallait le faire et il l’a fait et ça ne l’a pas fait mourir. De l’autre, nous trois, d’abord unis comme un seul homme, puis certains se laissant fléchir, qui arguons que ce serait là pure folie et que nous avons une réputation à tenir et que c’est une chose de délirer à poil depuis trois jours dans une propriété fermée et clôturée des regards extérieurs, même si, bon, oui, d’accord, on a pu en sortir et aller à poil jusque dans la forêt voisine, mais c’en est une autre que d’aller cette fois en pleine rue, en pleine ville, dans un secteur fréquenté, dans un magasin de surcroît, petit commerce de quartier forcément passant et de se laisser apercevoir dans notre entière nudité !
J’ai dit que le front uni contre ce projet s’est un peu fissuré au fil de la discussion. C’est vrai. L’argument à propos du défi assigné joyeusement à Sébastien au début de notre rencontre, puis la promenade en forêt où nous courrions le même risque de croiser des promeneurs du dimanche, a un peu ébranlé notre superbe. Moi le premier. Je me dis que, au fur et à mesure de la conversation, je n’ai pas forcément intérêt à jouer les mères la pudeur, ayant dans l’idée, à tort ou à raison, que les mecs, les vrais, les hétéros quoi, ont l’exhibition facile et que ça fait plus rire qu’autre chose. La preuve : leurs exploits filmés et téléchargés sur le Net font le bonheur des voyeurs en tout genre, comme moi !
Paradoxalement, c’est Sébastien qui manifeste le plus de réticence à ce projet délirant. Il est vrai que Quentin ne l’a pas raté en le fardant de cette façon. Il ressemble plus à une veille maquerelle sur le retour qu’à un maori sur le sentier de la guerre ! Je suis même étonné de la virulence avec laquelle il s’oppose, du moins au début, à cette excursion en pleine ville – alors même qu’il a déjà dû l’affronter au début de son séjour ici. Il est le dernier à céder, après que je lui ai proposé, pour tenter de calmer le jeu, de le porter sur mes épaules s’il le veut, tandis que Quentin marchera bien fièrement en tête, histoire d’assumer les conséquences de sa mascarade. Celui-ci proteste de la proposition que j’ai faite à Sébastien, mais ce dernier a aussitôt sauté sur l’occasion et menace de ne pas suivre le mouvement si cette faveur ne lui est pas accordée ; tout juste consent-il à ne s’ériger sur mes épaules qu’à l’entrée de la grand-rue, acceptant de courir avec les autres dans les parties les moins fréquentées du secteur.
Quentin cède à son tour à cette revendication, mais, se tournant vers Damien, réclame que ce dernier accepte lui-aussi de l’accueillir, au moins sur une partie du trajet, également sur ses épaules. Après tout, ce pourrait être amusant, d’après lui. Ben voyons ! Damien n’est pas spécialement enchanté par cette perspective, n’étant déjà pas très chaud, doux euphémisme, pour aller s’exhiber dans le quartier, en plein jour… Mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur, cédant aux yeux de cocker que Quentin lui adresse malicieusement.
Nous voici finalement pris au piège… et au jeu. J’embarque ma caméra, je commence à nous filmer, debout là dans le jardin de Quentin, prenant le temps de détailler chaque partie barbouillée du corps de chacun de mes partenaires, en réclamant qu’ils commentent eux-même les images… Quentin me propose de faire pareil avec moi et j’accepte de jouer le jeu à mon tour. Je reprends ensuite la caméra en main et il nous donne le signal. Notre groupe se met en branle, marchant avec précaution comme si nous parcourions un champ truffé de mines à éviter ! Nous passons la grille ; nous jetons un regard dans la rue. A droite. A gauche. Personne. Nous nous élançons. Chacun de nous pouffe un peu, histoire de masquer sa gêne d’une situation assez embarrassante.
On se met à courir comme des dératés, Quentin devant, qui sautille comme un pantin, pour faire le mariole ou plus sûrement pour se donner du courage dans la mesure où cette excursion est son idée, suivi de moi, de Sébastien et de Damien qui ferme la marche. Je me retourne, régulièrement, pour m’assurer que les deux autres – les plus réticents – suivent bien et ne se sont pas débinés, nous laissant seuls, Quentin et moi, aller au charbon… Mais non, ils sont là tous les deux, Sébastien se cachant la bite des deux mains, un peu contorsionné, Damien se la barrant aussi, mais d’une seule main, en se voulant l’air dégagé. Je suis surpris par tant de pudeur de leur part à tous deux, à laquelle je n’avais pas été habitué au cours de ce week-end ! Alors que Quentin y va franc-jeu… Et même moi, je me surprends à évoluer nu sans honte dans la rue, sans appréhension particulière.
Je filme notre course, en ayant peur que le résultat soit très cahoteux ! Il n’est pas facile de filmer tout en courant soi-même ; de plus, je ne capte en fait que les fesses – appétissantes, certes – de Quentin devant moi, et le sexe masqué de Sébastien et de Damien derrière moi. J’en profite donc pour zoomer également sur les alentours, pour mieux témoigner de notre exploit en public. Arrivés au carrefour, Quentin tourne à gauche, nous le suivons. La rue nouvelle qui s’étire devant nous est moins pavillonnaire que celle qui borde sa maison et plusieurs devantures de magasins y sont implantées, heureusement pour nous, rideau baissé, ce qui en limite l’affluence ! Quentin fonce droit, sans s’arrêter, sauf une ou deux fois où il se retourne, gigote dans notre direction, et repart. Nous le suivons, vents debout, sans laisse croire que nous pourrions flancher.
En fait, Quentin habite un endroit peu peuplé et peu habité ; nous ne craignons pas grand-chose et celui qui aurait le plus à pâtir de ce genre d’excursion et de ses conséquences serait Quentin lui-même qui y vit à l’année et y est connu, à la différence de nous… Cette perspective n’a cependant pas l’air de l’inquiéter outre mesure. Est-ce par qu’il est coutumier du fait et que les voisins en ont pris leur parti ? Je ne saurais dire. Arrivé l’approche d’un nouveau croisement, nous entendons des voix. Je sens mes compagnons se figer derrière moi et ralentir leur course. Je me retourne, toujours caméra au poing. Effectivement, Sébastien a stoppé et Damien, un peu plus derrière lui, aussi. Je me retourne pour voir comment Quentin réagit. Mais il n’a pas dû faire attention qu’il poursuivait seul en tête maintenant. Toutefois, je ne veux pas le laisser aller au casse-pipe seul, aussi je décide de me rapprocher de Sébastien et de Damien pour tenter de les re-motiver. J’en suis là à essayer de palabrer, lorsque je suis rejoint par Quentin.
– Ben ! Qu’est-ce ’ vous foutez ?
Les autres n’osent pas répondre. Sur un mot de Quentin, nous repartons tous, mais en ordre plus resserré et en ralentissant le pas. Je sens bien que même Quentin n’est plus aussi téméraire que sur la première partie du parcours. Les bruits de voix de passants proches se font plus ou moins entendre, au gré sans doute de leurs propres déplacements. Nous arrivons ainsi à nouveau à un croisement, en fait un coude que forme la rue que nous venons d’emprunter. Nous stoppons notre avancée. Quentin jette un œil sur le prolongement de la route dans son nouveau tracé. Nous reprenons notre souffle, mains légèrement repliées sur nos parties intimes…
Sébastien est tendu ; Damien est manifestement peu à l’aise. Même si je prends un air détaché, au fond de moi je ressens comme un mélange d’excitation et d’appréhension. Est-ce que Quentin est comme nous trois ou éprouve-t-il réellement cette indifférence qu’il manifeste face à l’événement ? Soucieux d’honorer mon combat de chevalier blanc, je propose à Sébastien de le prendre sur mes épaules, alors que nous sommes censés arriver au but de notre défi ; je le vois imperceptiblement se détendre à cette idée. Mais cette dernière ne peut que difficilement se mettre en œuvre, parce que notre différence de poids n’est pas énorme, même si celle de notre taille respective est plus marquée. Aussi, après m’être accroupi pour passer ma tête et mon cou entre ses jambes, j’ai toutes les peines du monde à me relever ! Cet effort, vain, réitéré, nous fait tous éclater de rire et nous accapare un bon moment…
Sébastien et moi nous décidons finalement de revenir un peu sur nos pas, vers un banc public installé sous les arbres dans la portion de rue que nous venons de traverser. Il monte dessus, les fesses en équilibre sur la tranche du dossier, je m’accroupis de nouveau près de lui, il passe ses jambes par-dessus mes épaules, lentement, une à une, je me relève… mais rien n’y fait ! notre position n’est pas bonne et je n’arrive pas à le soulever de cette manière ! Nous pouffons… Nous voyant gesticuler de la sorte, Quentin et Damien viennent nous rejoindre, d’autant que j’ai laissé ma caméra à Damien qui continuer de tourner et a capté la scène. Il se rapproche avec.
Je ne veux pas que cela soit dit et je tiens absolument à assurer à Sébastien cette – maigre – protection de mes épaules pour masquer son petit oiseau dans notre escapade. Aussi, je reprends la manœuvre. Il est aidé des deux autres, qui sont tous autant que lui pris de fous rires, ce qui ne facilite vraiment pas son escalade sur mes épaules ! Après bien des efforts et sans que je sache bien comment, je parviens enfin à y hisser Sébastien. Le voilà maintenant à nous dominer de toute sa hauteur et de la mienne réunies ; notre association tangue d’abord un peu, avant de se stabiliser plus ou moins : j’apprends à me mouvoir avec 58 kg au-dessus de ma tête – le poids exact de Sébastien (il me l’a confirmé). Vu nos difficultés, Quentin a renoncé pour sa part à faire de même avec Damien.
Notre expédition peut donc repartir, ceux-ci devant, avançant bien plus vite, Sébastien et moi derrière étant plus prudents. J’ai cette sensation soudaine bizarre d’être un père de famille qui promène son enfant de deux ans sur ses épaules, qui déambulerait dans une fête foraine ou une manifestation du 19-Février, alors que nous sommes quasiment du même âge et que ce n’est pas du tout un bébé qui est juché au-dessus de moi ! Et pourtant, je le tiens fermement par les jambes, mes mains bien rivées sur ses mollets à la peau très douce – j’ai trop peur, vu sa corpulence et la mienne, qu’il tombe à la renverse – et lui a croisé ses mains sous mon cou, corps légèrement penché en avant : en position exacte comme un enfant sur son trône ! Avec un tel poids, il m’est impossible de courir sauf à ce que nous nous cassions la gueule tous les deux ; j’en fais donc la remarque à Sébastien, mais sa nouvelle position, même inconfortable, a l’air de le satisfaire et il ne s’en émeut pas : il domine l’ensemble et prend le temps de regarder à droite et à gauche, profitant du panorama improvisé que je lui offre… Il semble bien calé, sa bite logée au creux de mon cou, et le fait qu’il puisse être le point de mire de tous ceux que l’on pourrait croiser dans nos pérégrinations, alors qu’il est nu, ne l’effraie pas plus que ça.
Nous nous rassemblons à l’angle de la rue. J’ai prévenu Quentin que je n’allais pas vite, chargé ainsi comme un mulet ; il m’a écouté, apparemment d’une oreille distraite, concentré sur la suite des événements, se contentant d’approuver machinalement de la tête. Il nous fait signe soudain de nous élancer. Mais, au lieu de courir, il prend bien soin de marcher normalement, l’air dégagé, d’un pas lent qu’il tente de maîtriser, même si je sens quelques gouttes d’appréhension perler sur son front. Je le suis. Ainsi que Damien qui a conservé ma caméra, sur ma demande – j’ai trop peur de lâcher Sébastien et qu’il s’écroule. A ma surprise, Damien va jusqu’à nous précéder, pour filmer notre équipée, marchant alors à reculons. En fait, il n’y a quasiment personne dans la rue ; ça ne nous empêche pas, Quentin surtout, de marcher la tête à haute, faisant mine de saluer comme le roi honorerait ses courtisans sur son passage. C’est d’ailleurs ce geste que Quentin se met à prodiguer, à la manière de la reine d’Angleterre saluant depuis son balcon… Nous éclatons tous de rire, d’un rire libérateur avec toutes ces tensions accumulées depuis le départ, au point que j’en viens à vaciller, et Sébastien avec moi.
La devanture de la boucherie est en vue. Quentin avait raison, il semble bien que le magasin soit ouvert. Mais la rue et les alentours sont toujours aussi déserts. Tant mieux quand même ! Nous nous en approchons, le corps et les nerfs légèrement tendus. Quentin n’a pas oublié de prendre l’argent nécessaire et sort pour cela son porte-monnaie du petit sac à dos qu’il a jeté sur ses épaules en quittant la maison. Damien filme toujours, prenant la liberté de capter lui-aussi, en plans larges ou en zoomant selon les cas, l’environnement dans lequel nous avançons.
Nous voici maintenant à la porte de la boucherie. A l’intérieur, personne. Est-elle bien ouverte ce matin ? Quentin pousse la porte d’une main ; elle s’entrouvre, laissant une clochette tintinnabuler pour signaler son entrée. Il est suivi de Damien. D’un commun accord, nous restons dehors, Sébastien ne manifestant nulle envie de descendre de son trône. Je me recule même légèrement pour qu’il puisse suivre la scène de toute sa hauteur, à travers la large façade vitrée du magasin. Sortant de l’arrière du magasin, c’est une jeune fille qui se présente derrière la caisse. Merde ! c’est Corinne, une fille du lycée… Je la connais parce qu’elle est en cours de latin avec moi, cette année – oui, je fais du latin en terminale ; je sais, ça n’aide pas à être le mec le plus cool du lycée de faire « latin »… ce serait au contraire plutôt du genre tête d’ampoule… Machinalement, j’ai reculé pour qu’elle ne me découvre pas dans ce simple appareil. Mon écart de quelques centimètres a été néanmoins assez brutal et Sébastien, qui ne s’y attendait pas, maugrée un peu. Je lui précise qui est cette fille et comment je la connais. Il me charrie sur l’effet bœuf que je dois alors lui faire ce matin ; c’est dit avec humour et bonne humeur, tandis qu’il se penche vers moi, tête baissée par-dessus la mienne. Il me pince le nez tout en se moquant gentiment de moi…
Corinne est amusée de découvrir Quentin et Damien sans rien sur eux si ce n’est ces peintures corporelles ridicules. Elle lève également les yeux vers moi, par-dessus la vitrine, m’aperçoit et me manifeste – à ma grande surprise – un petit signe amical de la main. Quentin et Damien tournent aussitôt leur regard dans ma direction, Quentin l’air goguenard. Ce dernier fait toutefois mine de rester naturel et réclame seize godiveaux, quatre pour chacun de nous. Je sens bien malgré tout qu’il n’est pas si à l’aise qu’il veut bien le faire croire, sa main droite tenant le porte-monnaie étant posée sur le bas de son ventre, comme s’il voulait se cacher tant bien que mal… Damien, lui, est accolé devant la banque qui supporte la caisse, mais légèrement en arrière, le dos tourné vers la vendeuse comme pour mieux s’en cacher… ; il filme toujours.
Corinne sert maintenant avec professionnalisme la commande que lui a passée Quentin, sans un mot. Lui la regarde fixement, la suivant des yeux dans chacun de ses gestes, comme par bravade. S’assurant qu’il ne veut rien de plus, elle passe à la caisse, si rapidement qu’elle fait sursauter Damien qui fait un bond de côté. Nous rions à l’extérieur de sa crainte, tandis qu’elle attire une sourire ironique sur les lèvres de Corinne. Quentin s’approche de la caisse à son tour, paie son écot et tous les deux, avec moult remerciements appuyés, quittent le magasin. Corinne les regarde partir, tout en restant professionnelle jusqu’au bout sans broncher. Instinctivement une nouvelle fois, j’ai anticipé le départ de Quentin et Damien et surtout le possible regard de Corinne sur leur sortie et donc sur moi dehors. Je préfère lui offrir mes fesses à voir – et celles de Sébastien, accessoirement – que ma bite !
Nous voici de nouveau réunis dans la rue. Sans un mot, nous repartons par où nous sommes venus, en pressant néanmoins le pas, d’abord imperceptiblement pour ne pas donner l’impression à notre vendeuse de ce matin que nous fuyons, puis de manière plus ouverte après quelques pâtés de maisons, avant de courir franchement jusqu’au croisement en angle de tout à l’heure – enfin, pour moi je trottine plus que je ne courre, secouant Sébastien tant et plus comme un Orangina… Nous nous rassemblons à cet endroit, hilares et contents de nous, commentant à qui mieux-mieux la brillante prestation de Quentin dans cette boucherie – non, notre brillante prestation à tous les quatre ! Je crois bien que le fait d’avoir accompli cet « exploit » ensemble sans faillir nous a re-soudé pour le restant du week-end.
Je propose à Sébastien s’il veut redescendre, mais, d’une petite voix mutine, celui-ci m’assure qu’il est très bien là où il est et qu’il ne compte pas en partir… Je suis d’abord un peu estomaqué par sa réaction, mais, finalement assez flatté. J’en prends acte et nous repartons pour parcourir le dernier tronçon du parcours qui vient achever notre aventure : direction la maison. Nous y parvenons sans encombre, sans rencontrer aucune âme qui vive sur cette partie du parcours. C’est donc avec une certaine excitation que nous franchissons de nouveau le portail d’entrée de la propriété, Quentin ne cessant de sautiller dans tous le sens, agitant les bras, le cornet de saucisses brinqueballant à la main. Damien, qui le suit, filme avec précision et en plans rapprochés chacun de nous, y apportant même des commentaires élogieux à la manière des journalistes sportifs, pour décrire notre prouesse du jour ; je ne l’ai jamais vu aussi disert !
Sébastien enfin ne semble pas pressé de quitter son perchoir et, sur un trait d’humour de Quentin, se met à jouer les cavaliers et, d’une cravache imaginaire en main, à me fouetter tel son cheval pour que je galope et que je caracole jusqu’à la terrasse. Mais, au lieu de m’arrêter, l’envie soudaine me prend et je poursuis ma course, tel un cheval fou, jusqu’à la piscine, au fond de laquelle je plonge dans un grand fracas d’eau et de cris des trois autres. Quentin et Damien, qui ont posé leurs affaires au passage sur la table de jardin, me suivent dans mon délire, faisant ainsi jaillir un grand plouf collectif du bassin…
Chap. XXVIII
Quentin a une faculté extraordinaire de rebondir dans la vie, qui me fascine. Au cours de ce week-end, il n’a pas hésité à tromper allègrement sa bonne-amie en titre, avant de se faire légitimement larguer par cette dernière. Il a éclaté en sanglot devant moi, parfait inconnu si l’on y réfléchit bien qui n’avait jamais eu de véritable relation amicale avec lui au cours de l’année scolaire passée, ni des années antérieures de lycée ou de collège d’ailleurs. Il m’a tripatouillé bite et couilles – et pas qu’à moi entre nous soit dit – m’a branlé plusieurs fois, s’y est essayé avec Sébastien, a eu moins de chance avec Damien – encore que je ne sache pas tout ce qui a pu se passer la nuit dernière. S’est fait rembarré, traité de chieur. Son week-end a failli tourner au vinaigre par la défection d’abord de quatre de ses membres, les quatre filles qu’il avaient invitées ; les quatre restants, quatre garçons, nous nous sommes écharpés au cours de notre escapade de dimanche après-midi ; la réconciliation n’est que balbutiante ce matin. Et lui, Quentin, frais comme un gardon, vient d’imaginer une nouvelle facétie pour relancer l’ambiance et re-dynamiser notre groupe, en se grimant de la tête aux pieds tel un zoulou ou un pygmée, je ne sais pas. Sans crainte du ridicule. Et pourtant il l’est vraiment, dans cet accoutrement, à huit heures du matin, alors que nous déjeunons et que nous émergeons à peine, les uns les autres, d’une nuit de sommeil assez peu régénératrice…
Evidemment que son déguisement nous fait tous nous esclaffer. Mais sa joie de vivre – un peu épuisante, parfois, il faut bien le reconnaître – sait judicieusement nous redonner la pêche pour cette dernière journée. Nous nous levons tous de table pour nous rapprocher de lui, bras sur l’épaule, à le questionner sur sa nouvelle lubie. Il se refuse obstinément à nous dévoiler ce qui lui trotte par la tête, se contentant de rabâcher que c’est une surprise et que nous verrons bien. « On va voir c’ qu’on va voir » est son leitmotiv, nous rappelant que nous sommes indignes d’avoir commencé à manger sans lui. Et de se jeter sur le petit-déjeuner comme un glouton…
Si moi je ne mange jamais le matin, je peux dire qu’il n’en est pas de même de mes trois compagnons ! A croire que chacun tente de gagner un hypothétique pari de celui qui enfournera le plus de nourriture et avalera le plus grand bol de café ou de chocolat au lait… Cette convivialité autour de la table a au moins l’avantage de relancer la conversation, chacun y allant de son commentaire ou de ses réflexions sur l’affublement de Quentin et, d’une manière générale, sur les civilisations africaine, amérindienne ou européenne qu’il sous-tend, avec leurs avantages et leurs inconvénients. On frise même le combat politique dans cet échange d’idées de jeunes adultes de dix-huit ans ou presque.
J’avoue que, pour ma part, ayant peu d’idées préconçues et surtout peu de connaissances réelles sur ces peuplades dites primitives, ayant à vrai dire en fait peu d’intérêt pour l’Afrique ou l’Amérique – qu’elle soit latine, antique ou anglo-saxonne – je me garde bien d’exposer avec fracas mon opinion et de défendre mes idées avec acharnement. J’ai en revanche plaisir à observer tout ce petit monde, qui, s’éloignant des rivages de l’adolescence fantasque et abêtissante, a su devenir sérieux et passionné le temps d’un repas, autour de la question de l’histoire de l’humanité et du devenir du monde. Tout ça à partir d’une énième bouffonnerie de Quentin…!
Tandis que chacun est désormais rassasié et que la conversation « sérieuse » a fini par s’éteindre par faute de munitions, nous entreprenons de débarrasser la table. Non sans avoir reçu la consigne impérieuse de Quentin : obligation de passer à la table de maquillage tout de suite après ! Ces instructions nous amusent. Comme de serviles soldats, nous suivons donc notre chef qui nous demande de rester debout, dehors, pendant qu’il va chercher le matériel nécessaire pour tous nous barbouiller à son image. Aussitôt dit, aussitôt fait, il revient effectivement avec un vanity-case devant appartenir à sa mère, dans lequel il a entassé, pêle-mêle, tubes de rouge à lèvres, onguents, blush, mascaras et autres fond de teint. Il dépose son paquet à même le sol et s’empare d’abord du tube de rouge à lèvres.
Je ne sais pas si Madame PERRILLAT – la maman de Quentin – porte ce type de maquillage, à moins que sur elle cela soit réellement avantageux, autrement je trouve cette couleur de rouge un peu tendancieuse, limite pouffiasse ! Quentin s’étant érigé maître-perruquier ne laisse à personne le soin de nous grimer. Et commence naturellement à barbouiller les lèvres de ce pauvre Sébastien de ce rouge infâme, débordant à qui mieux-mieux de leur pourtour… Ce qui le rend un peu féminin, ses yeux bleus pétillants faisant éclat avec ce rouge vif sur le bas de son visage. Lui n’est nullement gêné, toujours aussi rieur et réjoui. Quentin termine en traçant trois traits à l’iroquoise de part et d’autres de sa bouche, sur ses joues. Il se recule, visiblement satisfait de son œuvre, et s’approche de moi pour faire de même.
Je ne peux m’empêche de protester et de lui intimer l’ordre de ne pas m’affubler de rouge sur les lèvres comme il vient de le faire pour Sébastien. Je ne veux pas paraître plus efféminé que je crois que le monde me voit. C’est évidemment la requête à ne pas formuler : Quentin s’empresse de me maculer les lèvres de rouge, mais je me défends et son geste dévie un peu plus encore que pour Sébastien, me traçant une grande balafre en travers jusqu’au menton. Je râle ; les autres éclatent de rire ; Quentin s’entête ; je persiste à résister ; Quentin râle à son tour. Nous finissons par passer un compromis, tous les deux : va pour les traits bardant mes joues, quatre, cinq, six s’il le souhaite, mais pas, plus de rouge sur les lèvres. J’ai droit en définitive – parce que Quentin veut avoir le dernier mot – à un grand cercle entièrement rempli sur chacune de mes pommettes… Je juge ça toutefois moins grotesque que des lèvres débordantes de rouge !
Au tour de Damien de se laisser farder. Il est finalement, lui-aussi, modérément favorable à se laisser maquiller comme une femme. Si ses protestations sont moins ouvertes que les miennes – faux-cul va ! – il bouge malgré tout, et du visage et du corps tout entier, faisant immanquablement dévier la main déjà peu experte de Quentin en la matière. Le résultat n’est donc pas extraordinaire… Compte tenu au surplus que Damien porte le bouc, de ce fait légèrement tâché de rouge, l’ensemble n’est pas du meilleur effet, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les traits sur les joues se transforment d’ailleurs pour lui en croix pattées, sans bien savoir pourquoi…
Quentin abandonne ensuite son tube de rouge à lèvres largement diminué – que va penser sa mère ? – pour s’emparer cette fois du fond de teint en vue de nous en enduire le corps au maximum. Voilà encore une occasion de nous palper un peu partout, pense-je en moi-même… Et, de fait, il commence, muni d’une grosse couche au creux de la main, à nous passer du fond de teint sur tout le ventre, le torse et les épaules, descendant aux avants-bras et aux bras, débordant légèrement sur les omoplates et le haut du dos. D’abord moi. Je sens sa main glisser sur ma peau, minutieusement, enduisant avec application la crème brunissante. Mais je dois lui reconnaître qu’il ne profite pas de la situation, du moins pour l’instant. Vient ensuite Damien, puis Sébastien, avec lesquels il opère de même.
Ce fond de couleur étant maintenant appliqué, il passe au mascara, en tentant de dessiner avec des formes géométriques plus ou moins complexes par-dessus le fond de teint. Mais le résultat n’est apparemment pas à la hauteur de ses espérances. Il est vrai que le crayon à mascara n’est pas fait pour ça ! Il reprend donc en main le tube de rouge à lèvres et achève son œuvre avec celui-ci. Il faut lui reconnaître un certain talent et une connaissance approfondie des cultures primitives, arrivant assez justement à recréer les peintures festives ou guerrières des peuples indigènes.
Comme il lui reste encore du fond de teint – il a dû dévaliser tout le stock de la salle de bain – Quentin décide de s’attaquer à nos jambes et à nos fesses, sans oublier bien sûr nos bites bien flasques… C’est Damien qui y a droit en premier – heureux homme ! Et, étonnement, il se laisse faire sans broncher… Y aurait-il eu quelque-chose cette nuit qui les aurait rapproché ?! Il ne proteste même pas lorsque Quentin prend bien soin de brunir son pénis, avant de le rehausser d’une touche de rouge à lèvre par un trait tracé à la verticale ! Je passe à mon tour à la casserole, si je puis dire et je tente, héroïquement – si, si – de me comporter aussi distinctement que Damien. Bon, d’accord, ce n’est pas si difficile que ça pour moi… Mais je n’apprécie pas spécialement malgré tout que Quentin se permette, une énième fois, ce genre de privautés sur ma petite personne ! Ce dernier passe ensuite à Sébastien qui prend tout – comme toujours – avec le sourire.
Nous voilà maintenant fin prêts à exécuter la danse du scalp à grands renforts de hululements et de coups de tambours. C’est ce que fait valoir en riant l’un de nous à Quentin, mais celui-ci nous annonce triomphalement, que nous sommes tous les quatre appelés à défiler dans cet accoutrement dans sa rue et jusqu’à la boucherie implantée un peu en contrebas, sur l’axe passant du quartier – boucherie censée représenter le grand territoire de chasse des petits hommes noirs que nous sommes devenus ! Nous nous regardons, Sébastien, Damien et moi, interloqués. Et d’une, il n’est pas question que nous défilions dans un tel accoutrement, entièrement nus, même (partiellement) grimés, dans les rues de cette ville ; et de deux, nous sommes un lundi férié et le boucher a certainement tiré le rideau de sa boutique pour profiter, lui-aussi, de ce jour de repos supplémentaire…
Erreur, nous rétorque Quentin, aujourd’hui, comme tous les lundis, la boucherie est ouverte. La preuve, cet écriteau apposé sur sa devanture la semaine précédente, avertissant son « aimable clientèle » d’un tel service ! Ce boucher est trop bon ; nous n’en demandions pas tant ! Mais quand bien même la boucherie serait ouverte, il reste que nous refusons catégoriquement de nous balader à poil dans le quartier. Un débat houleux ne peut que s’instaurer entre nous, avec d’un côté Quentin prêchant pour que nous relevions tous ensemble – lui y compris – ce défi, faisant au passage valoir que Sébastien l’a déjà fait ce samedi, même si, c’est vrai, il n’est allé qu’au bout de la rue, mais quand même, il fallait le faire et il l’a fait et ça ne l’a pas fait mourir. De l’autre, nous trois, d’abord unis comme un seul homme, puis certains se laissant fléchir, qui arguons que ce serait là pure folie et que nous avons une réputation à tenir et que c’est une chose de délirer à poil depuis trois jours dans une propriété fermée et clôturée des regards extérieurs, même si, bon, oui, d’accord, on a pu en sortir et aller à poil jusque dans la forêt voisine, mais c’en est une autre que d’aller cette fois en pleine rue, en pleine ville, dans un secteur fréquenté, dans un magasin de surcroît, petit commerce de quartier forcément passant et de se laisser apercevoir dans notre entière nudité !
J’ai dit que le front uni contre ce projet s’est un peu fissuré au fil de la discussion. C’est vrai. L’argument à propos du défi assigné joyeusement à Sébastien au début de notre rencontre, puis la promenade en forêt où nous courrions le même risque de croiser des promeneurs du dimanche, a un peu ébranlé notre superbe. Moi le premier. Je me dis que, au fur et à mesure de la conversation, je n’ai pas forcément intérêt à jouer les mères la pudeur, ayant dans l’idée, à tort ou à raison, que les mecs, les vrais, les hétéros quoi, ont l’exhibition facile et que ça fait plus rire qu’autre chose. La preuve : leurs exploits filmés et téléchargés sur le Net font le bonheur des voyeurs en tout genre, comme moi !
Paradoxalement, c’est Sébastien qui manifeste le plus de réticence à ce projet délirant. Il est vrai que Quentin ne l’a pas raté en le fardant de cette façon. Il ressemble plus à une veille maquerelle sur le retour qu’à un maori sur le sentier de la guerre ! Je suis même étonné de la virulence avec laquelle il s’oppose, du moins au début, à cette excursion en pleine ville – alors même qu’il a déjà dû l’affronter au début de son séjour ici. Il est le dernier à céder, après que je lui ai proposé, pour tenter de calmer le jeu, de le porter sur mes épaules s’il le veut, tandis que Quentin marchera bien fièrement en tête, histoire d’assumer les conséquences de sa mascarade. Celui-ci proteste de la proposition que j’ai faite à Sébastien, mais ce dernier a aussitôt sauté sur l’occasion et menace de ne pas suivre le mouvement si cette faveur ne lui est pas accordée ; tout juste consent-il à ne s’ériger sur mes épaules qu’à l’entrée de la grand-rue, acceptant de courir avec les autres dans les parties les moins fréquentées du secteur.
Quentin cède à son tour à cette revendication, mais, se tournant vers Damien, réclame que ce dernier accepte lui-aussi de l’accueillir, au moins sur une partie du trajet, également sur ses épaules. Après tout, ce pourrait être amusant, d’après lui. Ben voyons ! Damien n’est pas spécialement enchanté par cette perspective, n’étant déjà pas très chaud, doux euphémisme, pour aller s’exhiber dans le quartier, en plein jour… Mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur, cédant aux yeux de cocker que Quentin lui adresse malicieusement.
Nous voici finalement pris au piège… et au jeu. J’embarque ma caméra, je commence à nous filmer, debout là dans le jardin de Quentin, prenant le temps de détailler chaque partie barbouillée du corps de chacun de mes partenaires, en réclamant qu’ils commentent eux-même les images… Quentin me propose de faire pareil avec moi et j’accepte de jouer le jeu à mon tour. Je reprends ensuite la caméra en main et il nous donne le signal. Notre groupe se met en branle, marchant avec précaution comme si nous parcourions un champ truffé de mines à éviter ! Nous passons la grille ; nous jetons un regard dans la rue. A droite. A gauche. Personne. Nous nous élançons. Chacun de nous pouffe un peu, histoire de masquer sa gêne d’une situation assez embarrassante.
On se met à courir comme des dératés, Quentin devant, qui sautille comme un pantin, pour faire le mariole ou plus sûrement pour se donner du courage dans la mesure où cette excursion est son idée, suivi de moi, de Sébastien et de Damien qui ferme la marche. Je me retourne, régulièrement, pour m’assurer que les deux autres – les plus réticents – suivent bien et ne se sont pas débinés, nous laissant seuls, Quentin et moi, aller au charbon… Mais non, ils sont là tous les deux, Sébastien se cachant la bite des deux mains, un peu contorsionné, Damien se la barrant aussi, mais d’une seule main, en se voulant l’air dégagé. Je suis surpris par tant de pudeur de leur part à tous deux, à laquelle je n’avais pas été habitué au cours de ce week-end ! Alors que Quentin y va franc-jeu… Et même moi, je me surprends à évoluer nu sans honte dans la rue, sans appréhension particulière.
Je filme notre course, en ayant peur que le résultat soit très cahoteux ! Il n’est pas facile de filmer tout en courant soi-même ; de plus, je ne capte en fait que les fesses – appétissantes, certes – de Quentin devant moi, et le sexe masqué de Sébastien et de Damien derrière moi. J’en profite donc pour zoomer également sur les alentours, pour mieux témoigner de notre exploit en public. Arrivés au carrefour, Quentin tourne à gauche, nous le suivons. La rue nouvelle qui s’étire devant nous est moins pavillonnaire que celle qui borde sa maison et plusieurs devantures de magasins y sont implantées, heureusement pour nous, rideau baissé, ce qui en limite l’affluence ! Quentin fonce droit, sans s’arrêter, sauf une ou deux fois où il se retourne, gigote dans notre direction, et repart. Nous le suivons, vents debout, sans laisse croire que nous pourrions flancher.
En fait, Quentin habite un endroit peu peuplé et peu habité ; nous ne craignons pas grand-chose et celui qui aurait le plus à pâtir de ce genre d’excursion et de ses conséquences serait Quentin lui-même qui y vit à l’année et y est connu, à la différence de nous… Cette perspective n’a cependant pas l’air de l’inquiéter outre mesure. Est-ce par qu’il est coutumier du fait et que les voisins en ont pris leur parti ? Je ne saurais dire. Arrivé l’approche d’un nouveau croisement, nous entendons des voix. Je sens mes compagnons se figer derrière moi et ralentir leur course. Je me retourne, toujours caméra au poing. Effectivement, Sébastien a stoppé et Damien, un peu plus derrière lui, aussi. Je me retourne pour voir comment Quentin réagit. Mais il n’a pas dû faire attention qu’il poursuivait seul en tête maintenant. Toutefois, je ne veux pas le laisser aller au casse-pipe seul, aussi je décide de me rapprocher de Sébastien et de Damien pour tenter de les re-motiver. J’en suis là à essayer de palabrer, lorsque je suis rejoint par Quentin.
– Ben ! Qu’est-ce ’ vous foutez ?
Les autres n’osent pas répondre. Sur un mot de Quentin, nous repartons tous, mais en ordre plus resserré et en ralentissant le pas. Je sens bien que même Quentin n’est plus aussi téméraire que sur la première partie du parcours. Les bruits de voix de passants proches se font plus ou moins entendre, au gré sans doute de leurs propres déplacements. Nous arrivons ainsi à nouveau à un croisement, en fait un coude que forme la rue que nous venons d’emprunter. Nous stoppons notre avancée. Quentin jette un œil sur le prolongement de la route dans son nouveau tracé. Nous reprenons notre souffle, mains légèrement repliées sur nos parties intimes…
Sébastien est tendu ; Damien est manifestement peu à l’aise. Même si je prends un air détaché, au fond de moi je ressens comme un mélange d’excitation et d’appréhension. Est-ce que Quentin est comme nous trois ou éprouve-t-il réellement cette indifférence qu’il manifeste face à l’événement ? Soucieux d’honorer mon combat de chevalier blanc, je propose à Sébastien de le prendre sur mes épaules, alors que nous sommes censés arriver au but de notre défi ; je le vois imperceptiblement se détendre à cette idée. Mais cette dernière ne peut que difficilement se mettre en œuvre, parce que notre différence de poids n’est pas énorme, même si celle de notre taille respective est plus marquée. Aussi, après m’être accroupi pour passer ma tête et mon cou entre ses jambes, j’ai toutes les peines du monde à me relever ! Cet effort, vain, réitéré, nous fait tous éclater de rire et nous accapare un bon moment…
Sébastien et moi nous décidons finalement de revenir un peu sur nos pas, vers un banc public installé sous les arbres dans la portion de rue que nous venons de traverser. Il monte dessus, les fesses en équilibre sur la tranche du dossier, je m’accroupis de nouveau près de lui, il passe ses jambes par-dessus mes épaules, lentement, une à une, je me relève… mais rien n’y fait ! notre position n’est pas bonne et je n’arrive pas à le soulever de cette manière ! Nous pouffons… Nous voyant gesticuler de la sorte, Quentin et Damien viennent nous rejoindre, d’autant que j’ai laissé ma caméra à Damien qui continuer de tourner et a capté la scène. Il se rapproche avec.
Je ne veux pas que cela soit dit et je tiens absolument à assurer à Sébastien cette – maigre – protection de mes épaules pour masquer son petit oiseau dans notre escapade. Aussi, je reprends la manœuvre. Il est aidé des deux autres, qui sont tous autant que lui pris de fous rires, ce qui ne facilite vraiment pas son escalade sur mes épaules ! Après bien des efforts et sans que je sache bien comment, je parviens enfin à y hisser Sébastien. Le voilà maintenant à nous dominer de toute sa hauteur et de la mienne réunies ; notre association tangue d’abord un peu, avant de se stabiliser plus ou moins : j’apprends à me mouvoir avec 58 kg au-dessus de ma tête – le poids exact de Sébastien (il me l’a confirmé). Vu nos difficultés, Quentin a renoncé pour sa part à faire de même avec Damien.
Notre expédition peut donc repartir, ceux-ci devant, avançant bien plus vite, Sébastien et moi derrière étant plus prudents. J’ai cette sensation soudaine bizarre d’être un père de famille qui promène son enfant de deux ans sur ses épaules, qui déambulerait dans une fête foraine ou une manifestation du 19-Février, alors que nous sommes quasiment du même âge et que ce n’est pas du tout un bébé qui est juché au-dessus de moi ! Et pourtant, je le tiens fermement par les jambes, mes mains bien rivées sur ses mollets à la peau très douce – j’ai trop peur, vu sa corpulence et la mienne, qu’il tombe à la renverse – et lui a croisé ses mains sous mon cou, corps légèrement penché en avant : en position exacte comme un enfant sur son trône ! Avec un tel poids, il m’est impossible de courir sauf à ce que nous nous cassions la gueule tous les deux ; j’en fais donc la remarque à Sébastien, mais sa nouvelle position, même inconfortable, a l’air de le satisfaire et il ne s’en émeut pas : il domine l’ensemble et prend le temps de regarder à droite et à gauche, profitant du panorama improvisé que je lui offre… Il semble bien calé, sa bite logée au creux de mon cou, et le fait qu’il puisse être le point de mire de tous ceux que l’on pourrait croiser dans nos pérégrinations, alors qu’il est nu, ne l’effraie pas plus que ça.
Nous nous rassemblons à l’angle de la rue. J’ai prévenu Quentin que je n’allais pas vite, chargé ainsi comme un mulet ; il m’a écouté, apparemment d’une oreille distraite, concentré sur la suite des événements, se contentant d’approuver machinalement de la tête. Il nous fait signe soudain de nous élancer. Mais, au lieu de courir, il prend bien soin de marcher normalement, l’air dégagé, d’un pas lent qu’il tente de maîtriser, même si je sens quelques gouttes d’appréhension perler sur son front. Je le suis. Ainsi que Damien qui a conservé ma caméra, sur ma demande – j’ai trop peur de lâcher Sébastien et qu’il s’écroule. A ma surprise, Damien va jusqu’à nous précéder, pour filmer notre équipée, marchant alors à reculons. En fait, il n’y a quasiment personne dans la rue ; ça ne nous empêche pas, Quentin surtout, de marcher la tête à haute, faisant mine de saluer comme le roi honorerait ses courtisans sur son passage. C’est d’ailleurs ce geste que Quentin se met à prodiguer, à la manière de la reine d’Angleterre saluant depuis son balcon… Nous éclatons tous de rire, d’un rire libérateur avec toutes ces tensions accumulées depuis le départ, au point que j’en viens à vaciller, et Sébastien avec moi.
La devanture de la boucherie est en vue. Quentin avait raison, il semble bien que le magasin soit ouvert. Mais la rue et les alentours sont toujours aussi déserts. Tant mieux quand même ! Nous nous en approchons, le corps et les nerfs légèrement tendus. Quentin n’a pas oublié de prendre l’argent nécessaire et sort pour cela son porte-monnaie du petit sac à dos qu’il a jeté sur ses épaules en quittant la maison. Damien filme toujours, prenant la liberté de capter lui-aussi, en plans larges ou en zoomant selon les cas, l’environnement dans lequel nous avançons.
Nous voici maintenant à la porte de la boucherie. A l’intérieur, personne. Est-elle bien ouverte ce matin ? Quentin pousse la porte d’une main ; elle s’entrouvre, laissant une clochette tintinnabuler pour signaler son entrée. Il est suivi de Damien. D’un commun accord, nous restons dehors, Sébastien ne manifestant nulle envie de descendre de son trône. Je me recule même légèrement pour qu’il puisse suivre la scène de toute sa hauteur, à travers la large façade vitrée du magasin. Sortant de l’arrière du magasin, c’est une jeune fille qui se présente derrière la caisse. Merde ! c’est Corinne, une fille du lycée… Je la connais parce qu’elle est en cours de latin avec moi, cette année – oui, je fais du latin en terminale ; je sais, ça n’aide pas à être le mec le plus cool du lycée de faire « latin »… ce serait au contraire plutôt du genre tête d’ampoule… Machinalement, j’ai reculé pour qu’elle ne me découvre pas dans ce simple appareil. Mon écart de quelques centimètres a été néanmoins assez brutal et Sébastien, qui ne s’y attendait pas, maugrée un peu. Je lui précise qui est cette fille et comment je la connais. Il me charrie sur l’effet bœuf que je dois alors lui faire ce matin ; c’est dit avec humour et bonne humeur, tandis qu’il se penche vers moi, tête baissée par-dessus la mienne. Il me pince le nez tout en se moquant gentiment de moi…
Corinne est amusée de découvrir Quentin et Damien sans rien sur eux si ce n’est ces peintures corporelles ridicules. Elle lève également les yeux vers moi, par-dessus la vitrine, m’aperçoit et me manifeste – à ma grande surprise – un petit signe amical de la main. Quentin et Damien tournent aussitôt leur regard dans ma direction, Quentin l’air goguenard. Ce dernier fait toutefois mine de rester naturel et réclame seize godiveaux, quatre pour chacun de nous. Je sens bien malgré tout qu’il n’est pas si à l’aise qu’il veut bien le faire croire, sa main droite tenant le porte-monnaie étant posée sur le bas de son ventre, comme s’il voulait se cacher tant bien que mal… Damien, lui, est accolé devant la banque qui supporte la caisse, mais légèrement en arrière, le dos tourné vers la vendeuse comme pour mieux s’en cacher… ; il filme toujours.
Corinne sert maintenant avec professionnalisme la commande que lui a passée Quentin, sans un mot. Lui la regarde fixement, la suivant des yeux dans chacun de ses gestes, comme par bravade. S’assurant qu’il ne veut rien de plus, elle passe à la caisse, si rapidement qu’elle fait sursauter Damien qui fait un bond de côté. Nous rions à l’extérieur de sa crainte, tandis qu’elle attire une sourire ironique sur les lèvres de Corinne. Quentin s’approche de la caisse à son tour, paie son écot et tous les deux, avec moult remerciements appuyés, quittent le magasin. Corinne les regarde partir, tout en restant professionnelle jusqu’au bout sans broncher. Instinctivement une nouvelle fois, j’ai anticipé le départ de Quentin et Damien et surtout le possible regard de Corinne sur leur sortie et donc sur moi dehors. Je préfère lui offrir mes fesses à voir – et celles de Sébastien, accessoirement – que ma bite !
Nous voici de nouveau réunis dans la rue. Sans un mot, nous repartons par où nous sommes venus, en pressant néanmoins le pas, d’abord imperceptiblement pour ne pas donner l’impression à notre vendeuse de ce matin que nous fuyons, puis de manière plus ouverte après quelques pâtés de maisons, avant de courir franchement jusqu’au croisement en angle de tout à l’heure – enfin, pour moi je trottine plus que je ne courre, secouant Sébastien tant et plus comme un Orangina… Nous nous rassemblons à cet endroit, hilares et contents de nous, commentant à qui mieux-mieux la brillante prestation de Quentin dans cette boucherie – non, notre brillante prestation à tous les quatre ! Je crois bien que le fait d’avoir accompli cet « exploit » ensemble sans faillir nous a re-soudé pour le restant du week-end.
Je propose à Sébastien s’il veut redescendre, mais, d’une petite voix mutine, celui-ci m’assure qu’il est très bien là où il est et qu’il ne compte pas en partir… Je suis d’abord un peu estomaqué par sa réaction, mais, finalement assez flatté. J’en prends acte et nous repartons pour parcourir le dernier tronçon du parcours qui vient achever notre aventure : direction la maison. Nous y parvenons sans encombre, sans rencontrer aucune âme qui vive sur cette partie du parcours. C’est donc avec une certaine excitation que nous franchissons de nouveau le portail d’entrée de la propriété, Quentin ne cessant de sautiller dans tous le sens, agitant les bras, le cornet de saucisses brinqueballant à la main. Damien, qui le suit, filme avec précision et en plans rapprochés chacun de nous, y apportant même des commentaires élogieux à la manière des journalistes sportifs, pour décrire notre prouesse du jour ; je ne l’ai jamais vu aussi disert !
Sébastien enfin ne semble pas pressé de quitter son perchoir et, sur un trait d’humour de Quentin, se met à jouer les cavaliers et, d’une cravache imaginaire en main, à me fouetter tel son cheval pour que je galope et que je caracole jusqu’à la terrasse. Mais, au lieu de m’arrêter, l’envie soudaine me prend et je poursuis ma course, tel un cheval fou, jusqu’à la piscine, au fond de laquelle je plonge dans un grand fracas d’eau et de cris des trois autres. Quentin et Damien, qui ont posé leurs affaires au passage sur la table de jardin, me suivent dans mon délire, faisant ainsi jaillir un grand plouf collectif du bassin…










, il nous abandonne, répondant à l’injonction de son épouse qui lui suggère de nous laisser tranquille pour que nous puissions profiter des derniers instants de notre séjour ensemble.






















