Re: Guitare [English Version included]
Chap. XVIII
On dit que la musique adoucit les mœurs. Elle crée en tout cas une aura autour de celui qui l’interprète, c’est certain, mais aussi autour du public qui se réunit pour l’écouter. Ces quelques morceaux – bien modestes – que je viens de jouer viennent de re-souder notre groupe, c’est palpable. Je n’ai pourtant pas joué longtemps : je ne donnais pas un concert. Seulement quelques morceaux, d’abord ceux qui me revenaient en mémoire de mes cours passés, piochés dans les répertoires classique et baroque – même si la « grande » musique, la musique classique est souvent présentée comme rébarbative, surtout chez les jeunes, elle fascine finalement toujours autant, quel que soit l’âge de l’auditoire – et j’ai aussi interprété quelques morceaux sur demande : sais-tu jouer de ceci ou de cela ? Avec mon oreille musicale, je suis capable de retranscrire de tête quelques notes de telle mélodie plus ou moins à la mode, sans oublier les chansons éternelles – sans aller toutefois jusqu’à « Jeux Interdits »… A la fin de ce mini récital, je me suis levé et je suis allé raccrocher la guitare sur son support mural. Malgré les protestations, je n’ai pas cédé et j’ai souhaité arrêter de jouer – le succès, même petit comme ce matin, me rend plutôt mal à l’aise. J’ai dû néanmoins promettre de recommencer au cours de ce week-end. C’est à Damien que j’ai fait cette promesse ; il me l’a demandé presque en catimini, lorsque nous sommes tous ressortis de la maison, prenant la direction de la piscine. Il m’a attendu puis il a ralenti le pas, comme préoccupé. Je m’en suis aperçu et je me suis retourné. C’est là qu’il m’a exposé sa supplique d’une voix enfantine. Même si j’en ai été surpris, j’ai tenté de ne pas le manifester pour ne pas le mettre mal à l’aise. Mais intérieurement, j’ai souri.
Nous voilà de nouveau devant la piscine. Curieusement, aucun de nous ne s’y précipite. Comme si les événements de ces dernières heures planaient encore et nous retenaient de nous laisser aller. Comme si quelque-chose de nouveau s’était produit qui nous incitât à plus de réserve, ou plus de sagesse. Quentin s’est d’abord assis dans l’herbe. Ainsi que Damien. Je me suis assis à mon tour, à quelques encablures de lui. Ce qui a incité Quentin à se relever et à venir s’asseoir juste derrière moi, glissant ses deux jambes autour de mon bassin. Il a ensuite posé ses deux bras sur mes épaules, dans un geste de camaraderie. Il n’a toutefois pas osé m’attirer contre lui… Sébastien s’est posé à côté de nous, en nous faisant face. La conversation a démarré sur je ne sais plus quel sujet. Elle a très vite embrayé sur la mécanique et l’automobile en général. J’ai donc par conséquent très vite décroché et je me suis contenté d’hocher plus ou moins savamment la tête à chaque fois qu’on faisait mine de s’adresser à moi – je ne connais rien à la mécanique, je ne me passionne pas, mais alors absolument pas pour les voitures ; pour moi une voiture est faite pour rouler et m’aider à me déplacer. Après, de savoir sa couleur, sa puissance sous le capot, sa marque et tutti quanti, je m’en tamponne royalement le coquillard ! Je ne comprends même pas qu’on puisse se passionner pour ça… Non pas que je préfère parler chiffon ou d’autres trucs dits « de filles » (alors que les trucs « de voitures » seraient réservés aux garçons), mais je pense qu’il y a un tas de sujets plus captivants que les bagnoles : la politique, les rapports hommes-femmes, la culture, le cinéma, l’architecture, tel ou tel livre, l’histoire, etc., autant de sujets sur lesquels j’aurais vraiment des choses à dire ! Or, en réalité je n’en parle pas parce que ces sujets-là sont rarement abordés et, lorsqu’ils le sont, je n’ose pas prendre la parole… Bref, j’ai toujours autant l’impression d’être en décalage, tout le temps, avec tout le monde – plus que jamais de ne pas être un garçon comme les autres. Et ce matin avec Sébastien, Quentin et Damien ne fait pas exception à la règle, malheureusement. Ce qui ne m’interdit pas de les observer à la loupe, ce que je sais faire le mieux d’ailleurs. Je trouve ainsi extraordinaire de me retrouver pour ainsi dire au milieu d’eux – Quentin collé à moi par-derrière, Sébastien à ma gauche, face à moi, Damien sur ma droite. Et je rappelle que nous sommes tous les quatre à poil !!! Sans qu’aucun de nous ne soit manifestement gêné par cette situation. J’ai la bite de Quentin collée contre ma raie des fesses – j’exagère à peine – j’ai une vue plongeante sur celle de Sébastien – aussi belle qu’il est beau – et chaque fois que je tourne la tête vers Damien, histoire de faire accroire que je participe à la conversation, je peux également admirer la sienne… Que demander de mieux ?!
La discussion prend un nouveau tournant – sans que j’ai bien su ce qui l’a provoqué, je l’avoue – qui incite Sébastien à se déplacer. Il vient maintenant s’asseoir dos à nous – je veux dire, à Quentin et à moi – et s’allonge dans l’herbe en choisissant de poser sa tête sur ma cuisse gauche. Le tout, en continuant le débat apparemment passionné, et passionnant, sur le sujet du moment. J’ai les deux jambes allongées, l’une contre l’autre, mais je commence à fatiguer dans cette position ; aussi, je plante mes bras en arrière dans le sol et, butant contre Quentin, encouragé par lui, je me laisse aller en arrière, venant m’adosser contre son torse. Celui-ci décroche ses mains de sur mes épaules et me les passent autour des hanches, en guise de ceinture, en m’attirant contre lui. Lui aussi poursuit sur un ton animé le débat. Tout ça le plus naturellement du monde.
C’est à ce moment que j’ai vraiment décroché. J’ai laissé mon cerveau vagabonder ; mes yeux ne cessant de scruter le visage de Sébastien, son torse, son ventre, sa bite, revenant à son visage et ainsi de suite. Je crois que je suis dingue de ce type !… En même temps, si je devais choisir entre les trois, je dois admettre que j’aurais un peu de mal ; je ne pourrais pas avoir le droit d’avoir les trois en même temps ? Non ? Il faut vraiment que je choisisse ? Est-ce absolument nécessaire ?
Non, Guillaume, t’es pas d’accord ? Hum ? T’occupe, il a décroché ! Dis-donc, dis carrément que c’qu’on raconte t’intéresse pas ! Hum ? Si, si, j’suis d’accord ! Sur quoi, t’est d’accord ? Damned, je suis pris au piège. Les autres éclatent de rire à la tête d’ahuri que je suis en train de tirer. Un peu de rouge me monte aux joues. Notre ami, Guillaume, était en train d’penser à sa p’tite copine ! Elle te manque, ta p’tite copine ? Tu t’ennuie sans ta p’tite copine ? Quentin prend un malin plaisir à me parler avec un air gnangnan pour me poser toutes ces questions, comme s’il s’adressait à un débile profond. Les deux autres sont hilares. Tu voudrais qu’è’ t’fasse un gros câlin, ta p’tite copine ? Mais elle est pas là, ta p’tite copine ! Oh… ! Tu veux qu’on la remplace, ta p’tite copine ? Et Quentin de commencer par m’embrasser bruyamment sur la joue, avant de me titiller le lobe de l’oreille, puis de me léchouiller la joue, avec sa grande langue baveuse. Ce qui me fait pousser un grand cri de dégoût, accompagné d’un revers de la main pour tenter de m’essuyer. Mais le bougre continue ! Je m’écarte donc en tournant la tête vers lui, histoire de soustraire ma joue à sa langue vorace et dégoulinante : j’ai horreur qu’on me lèche comme ça ! Quentin profite que je me trouve face à lui pour, d’un mouvement aussi soudain que rapide, m’embrasser sur la bouche – avec la langue cette fois ! Et pour être sûr que je ne recule pas d’instinct, il me bloque l’arrière du crâne avec sa main droite, son bras gauche enlaçant mon torse. Je suis tellement surpris que je ne lui oppose aucune résistance. Je ne réponds même pas à son baiser. Mes yeux trahissent mon étonnement. Il prolonge exagé-rément son étreinte, dans les hourras de nos compagnons. Damien fait même mine de chronométrer cet exploit. Quentin se détache enfin et, d’un revers de main, s’essuie la bouche, dans une grande mimique et un râle de satisfaction. Alors, heureuse ? dit-il en prenant une voix profonde. Nous éclatons tous de rire, moi le premier. Bien sûr, je me garde bien de répondre à sa question. Lorsque les rires se taisent, le silence s’installe. Nous sommes chacun perdus dans nos pensées. Quentin reprend sa position initiale et me serre un peu plus dans ses bras. Je me laisse faire.
Au bout de dix minutes, chacun à rêvasser, je tente de me redresser ; j’ai des fourmis dans les jambes. Quentin me retient : il me chuchote dans l’oreille qu’il a une trique d’enfer ! Je sens effectivement son sexe en érection dans le bas de mon dos. Je souris et je ne bouge pas. Finalement, il rompt le silence entre nous. Alors, Seb ? T’es v’nu sans Isa ? Vous êtes fâchés ? Sébastien, qui a tourné la tête vers Quentin – toujours posée sur ma cuisse – lui sourit en guise de réponse. Et au lit, comment ça va tous les deux ? Sébastien se contente toujours de sourire, sans piper mot, mais je m’aperçois que son sourire vire un peu au jaune. En tout cas, ses yeux ont perdu de leur caractère rieur, pour laisser la place à une certain effroi. Manifestement, les questions de Quentin le mettent mal à l’aise. Quentin se lève, sa bite s’est visiblement ramollie ; il vient s’allonger sur l’herbe sur ma gauche. Sur le ventre. Il plante ses coudes dans le sol, son menton à hauteur du bassin de Sébastien. Il fixe ce dernier des yeux en entendant bien continuer son petit manège des questions sentimentales indiscrètes… Alors ? T’as pas répondu à la question ! Elle t’a d’jà fait une pipe au moins ? Et toi, tu prends l’temps des préliminaires ou tu la sautes tout d’suite ? Tu mets un préservatif au moins ?! Ce s’rait dommage qu’un beau p’tit corps comm’ le tiens s’abîme… ! Et de parcourir son bas-ventre en le humant avec son nez. Hum ! Bien appétissant tout ça ! Elle en a d’la chance, Isabelle ! Quentin pose son nez sur la bite de Sébastien et joue au chien fourrant sa truffe partout. Il enfouit son nez dans les poils pubiens de Sébastien – d’une couleur châtain, relativement peu denses. Wouarf ! Wouarf ! Le voilà qui halète et pend la langue, exactement comme un toutou ! Il est très drôle dans cette imitation. Il pose sa tête sur le ventre de Sébastien, tout en continuant de japper. Hum ! C’est doux ! Il se met à ronronner comme un chat, frottant son oreille contre le ventre de Sébastien. Il tente même d’introduire sa langue dans son nombril en se contorsionnant tant et plus. Ce mec adore lécher tout le monde ! Sébastien rit de bon cœur à ses pitreries et n’exprime aucune répulsion. Alors ? Elle a un’ jolie p’tite chatte, ta p’tite copine ? Quentin vient de relever la tête et, langue toujours dehors, se met à titiller le pubis de Sébastien, flirtant avec la base de son sexe ; il l’effleure de la langue, renifle bruyamment dans sa toison pubienne. Sébastien ne peut retenir un geste pour le repousser ; il est devenu écarlate. Alors, ma pupuce ? J’te fais aucun effet ? Cette fois, Quentin pose son oreille sur la bite de Sébastien et la frotte avec application. J’aperçois la main et le bras de ce dernier se tendre de crispation. Il se retient de ne pas écarter davantage Quentin, pour ne pas paraître trop prude. Son sourire s’est figé sur sa bouche. T’es lourd, là, Quentin ! La mise en garde est venue de Damien. Très calmement. Celui-ci le regardait pourtant faire en se marrant comme nous de ses simagrées. A sa réaction, Quentin a relevé la tête, son regard fixant Damien par-delà Sébastien. Toi, ma biche, tu perds rien pour attendre ! Attends qu’j’te fasse subir les derniers outrages à la jeune vierge que tu es ! Mais j’attends qu’ça mon poussin ! Arrgh ! L’échange surréaliste a eu lieu du tac au tac entre eux deux ; il se conclut par une grimace de lion rugissant de Quentin, qui se lève d’un bond et se précipite sur Damien. Ce dernier a cependant eu le réflexe de se lever aussi vite que lui et de prendre ses jambes à son cou. Quentin et lui se courent après, en trottinant autour de la piscine. Ils vont bien finir par tomber dedans ! Evidement, ça ne manque pas et, dans un grand plouf, tous deux se jettent à l’eau et continuent de chahuter dans le bassin.
Sébastien et moi les regardons faire et nous éclatons de rire lorsqu’ils plongent. Nous n’avons pourtant pas envie de les y rejoindre dans l’immédiat. Ils n’y restent d’ailleurs pas longtemps, commençant à être tenaillés par la faim – il est bientôt midi. Ils ressortent. Quentin, bientôt imité par Damien, vient s’ébrouer juste à côté de nous, faisant exprès de nous asperger d’eau. Je le repousse à grands coups de bras sur les tibias, manquant moi-même de perdre l’équilibre. Sébastien rit à gorges déployées. Tous deux repartent vers la table de jardin et décident de relancer les braises du barbecue – qui sont pourtant irrémédiablement éteintes : ils ne manquent pas d’espoir ! Nous restons seuls, Sébastien et moi. Le silence revient, à peine troublé par les exclamations assourdies de nos deux compères, au loin.
Des gouttelettes jonchent le front et le bas des épaules de Sébastien. Je le regarde et, machinalement, je les essuie d’un revers de la main. Il me sourit. Mes yeux se projettent sur la ligne d’horizon. Je fais semblant de prendre un bain de soleil ; je tente surtout de freiner les battements de mon cœur qui s'est une nouvelle fois emballé : je vendrais père et mère pour lui faire l’amour et vivre une histoire torride avec lui ! Quelques minutes s’écoulent. Tu sais ?! On n’a jamais rien fait, Isa et moi ! Je suis surpris par son aveu. Je le regarde droit dans les yeux. Je tente de jouer l’étonnement, mais je sens un élan d’immense tendresse m’envahir intérieurement. J’ai déjà eu l’occasion de dire combien j’ai toujours admiré chez ce garçon sa simplicité et sa franchise naïve à parler ainsi librement de choses si intimes et personnelles. Ce matin encore…
Tu veux dire qu’vous avez jamais dormis ensemble ? Non… ! Pourquoi ? J’veux dire, c’est volontaire ? Mon « pourquoi », une nouvelle fois, a jailli un peu vite ; il était surtout empreint d’une excitation assez malsaine. J’ai donc tenté de corriger le tir. Sébastien prend d’abord le temps avant de répondre ; il cherche ses mots. On préfère pas… ! Enfin… ! J’veux dire… ! J’crois qu’on est pas prêt ! Elle ! …Et moi aussi ! Il se redresse au moment où il prononce ces derniers mots. Il me regarde fixement. Il tente de passer son coude droit entre mes deux jambes pour mieux se cambrer et se tourner dans ma direction. Il me pince la peau sous le genou, ce qui me fait grimacer. Il s’excuse aussitôt avec chaleur. Se repositionne un peu mieux. J’écarte légèrement mes deux jambes. Il pose sa tête sur sa main droite ; son aisselle calée sur mon genou gauche. J’y arrive pas ! J’sais pas comment faire ! J’veux dire : si ! Bien sûr ! J’sais comment on fait… ! Mais… ! J’ai peur d’pas y’arriver ! C’est con, hein ?! Non, c’est pas con ! J’ai répondu calmement à Sébastien, en prenant un air pénétré voulant de toute mes forces le convaincre. C’est p’t-être que t’es pas prêt ! …Ou que c’est pas la bonne personne… ! J’avance mes hypothèses avec prudence, ne voulant pas le heurter, ni être blessant. Ou bien, p’t-êtr’ que c’est trop tôt… ! Ou qu’i’ manque just’ un p’tit que’q-chose pour t’mettre en confiance… ! Enfin… ! J’te dis ça, moi, mais j’suis mal placé… ! Je ne souhaite pas poursuivre. Je me suis trop découvert à mon sens, entraîné ainsi par toutes ces confidences. Or, je n’ai pas du tout envie d’avouer d’autres choses, même à Sébastien, sans savoir d’abord comment il pourrait les prendre…
J’sais pas… ! T’as sûr’ment raison… ! J’ai l’impression d’êt’ nul, parfois… ! J’ai mal là-d’dans ! Il montre du geste l’intérieur de son ventre, en opérant un cercle avec sa main droite. Ca s’bouscule, des fois, dans ma tête… ! J’voudrais un tas d’trucs, mais ça sort pas… ! Du moins… ! Pas c’que j’veux ! J’suis compliqué, tu sais ?! Je souris à sa remarque. S’il savait vraiment, le pauvre ! En fait de compliqué, je le bats à plates coutures, qu’il me croie sur parole… En fait… ! J’ai jamais fait l’amour ! Avec personne ! Enfin… ! Si ! Tout seul ! Mais c’est pas vraiment d’l’amour ! Il rit à cette évocation. Bien qu’il ne paraisse pas autrement gêné. Je redoute néanmoins qu’il m’interroge sur mes expériences à moi, qui sont en tous points identiques aux siennes ! Si ce n’est que, moi, je ne fantasme pas sur une Isabelle ou sur d’autres filles en général. D’ailleurs, est-ce qu’il fantasme, lui, sur Isabelle, finalement ? Si elle était si géniale que ça, elle n’aurait aucun mal à lui ôter sa peur et à le faire passer le coche, non ? C’est quoi, après tout, son blocage ? Arrête de rêver, mon vieux Guillaume, ton esprit s’égare, tu es en train de déraper et de te faire un film. Ce n’est pas Le Titanic, là ! Tu n’es pas Leonardo DiCaprio et Sébastien n’est pas Kate Wintsley ! En plus sexy, pourtant, naturellement !
J’arrête pas d’me poser des questions… ! Sa phrase finit presque dans un soupir. Son sourire a disparu, ses yeux se sont éteints. Il détache sa tête de sa main et la pose sur ma cuisse ; il replie son bras gauche sur le haut de ma cuisse, à quelques millimètres de mes couilles. J’hésite. Je me lance. Je passe ma main gauche dans ses cheveux, tendrement. Je tente de faire accepter mon geste en lui ébouriffant un peu les cheveux. Il lève les yeux vers moi, le regard triste, un sourire timide aux lèvres. Je le recoiffe, lentement, minutieusement. T’es pas nul, Sébastien ! T’es pas nul, crois-moi ! …Surtout pas toi ! Je marmonne cet aveu entre mes dents. Sébastien l’a entendu et, de nouveau, il lève les yeux vers moi. Il me scrute intensément ; je ne lis ni étonnement, ni inquiétude, ni interrogation ou gêne dans son regard, non, plutôt de la gratitude – de la gratitude pour ne pas le considérer comme un zéro, pour ma tentative de lui donner confiance en lui.
Faut pas t’casser la tête ! Ca viendra, tu sais ! Faut pas angoisser ! Et pis, faut pas croire tout ceux qu’i t’disent qu’ils s’envoient en l’air ! En lui disant ça, je ne peux m’empêcher de penser à Quentin et aux apparences… Tu sais ! beaucoup d’entre nous… ! A cet instant, je fais exprès d’employer le pluriel, histoire de ne pas avouer combien ma vie sexuelle est un désert. ...Beaucoup fanfaronnent en f’sant croire qu’ils l’ont fait… ! Ou qu’ils le font tout l’temps… ! Alors que la plupart s’la pètent ! C’est tout ! Non, crois-moi… ! J’ai mis toute mon énergie à énoncer cette affirmation, dont je ne suis pas sûr du réel bien-fondé. Sébastien a l’air en tout cas d’apprécier cette marque de confiance. Il glisse sa main droite sous ma jambe, rejointe par sa main gauche. Il plaque sa tête un peu plus fort contre ma cuisse et la serre. Je le sens s’abandonner, agrippé ainsi à moi. Je le regarde, ému. J’ai la gorge nouée par tant de marque de tendresse.
Nous entendons Quentin nous crier depuis la terrasse de venir les rejoindre : le repas est presque prêt. Sébastien est toujours accroché à ma jambe, sans avoir l’air de vouloir bouger. A-t-il entendu l’appel de Quentin ? Je lui caresse l’épaule de ma main, pour lui faire comprendre la nécessité de se détacher et de se lever. Il lève les yeux vers moi ; j’ai l’impression d’avoir près de moi un petit enfant malheureux d’abandonner son jouet ! Il me sourit. Il se lève, assez péniblement ; ses membres paraissent tout engourdis par l’immobilité. En posant un pied par terre, il pousse un cri de douleur : il a une crampe au fléchisseur. Sa bouche se tord en un rictus. Je m’inquiète. Rassied-toi ! Je tends la main vers lui pour tenter de le soutenir. Il ploie le genou, maintenant son autre jambe tendue en espérant que sa crampe passera d’elle-même. Il perd l’équilibre en restant à cloche-pied. Je l’environne de mes deux bras tendus, sans trop savoir comment réagir. Il décide de se rasseoir – pas n’importe où, mais volontairement entre mes deux jambes !… Je ne peux alors m’empêcher de passer mes bras autour de son ventre et de l’attirer vers moi. Je l’encourage à étendre sa jambe crispée, la droite, sur la mienne, pour la surélever légèrement. Je me plie sur le côté et, étirant mon (long) bras, je lui masse maladroitement la chair autour du tibia. Après quelques instants de cette contorsion, un mauvais mouvement me crée moi-même une douleur dans le bas du dos. J’engage une retraite prudente et je me replace derrière Sébastien, le plaquant contre mon torse. Je perçois qu’il s’abandonne tout contre moi. Nous restons là, sans bouger, insensibles aux appels réitérés que nous lancent les deux autres pour venir à table. Je suis bien, là, le tenant dans mes bras. Je n’ai pas envie que ça s’arrête. J’ai l’impression que Sébastien, non plus, n’en a pas plus envie…
Chap. XVIII
On dit que la musique adoucit les mœurs. Elle crée en tout cas une aura autour de celui qui l’interprète, c’est certain, mais aussi autour du public qui se réunit pour l’écouter. Ces quelques morceaux – bien modestes – que je viens de jouer viennent de re-souder notre groupe, c’est palpable. Je n’ai pourtant pas joué longtemps : je ne donnais pas un concert. Seulement quelques morceaux, d’abord ceux qui me revenaient en mémoire de mes cours passés, piochés dans les répertoires classique et baroque – même si la « grande » musique, la musique classique est souvent présentée comme rébarbative, surtout chez les jeunes, elle fascine finalement toujours autant, quel que soit l’âge de l’auditoire – et j’ai aussi interprété quelques morceaux sur demande : sais-tu jouer de ceci ou de cela ? Avec mon oreille musicale, je suis capable de retranscrire de tête quelques notes de telle mélodie plus ou moins à la mode, sans oublier les chansons éternelles – sans aller toutefois jusqu’à « Jeux Interdits »… A la fin de ce mini récital, je me suis levé et je suis allé raccrocher la guitare sur son support mural. Malgré les protestations, je n’ai pas cédé et j’ai souhaité arrêter de jouer – le succès, même petit comme ce matin, me rend plutôt mal à l’aise. J’ai dû néanmoins promettre de recommencer au cours de ce week-end. C’est à Damien que j’ai fait cette promesse ; il me l’a demandé presque en catimini, lorsque nous sommes tous ressortis de la maison, prenant la direction de la piscine. Il m’a attendu puis il a ralenti le pas, comme préoccupé. Je m’en suis aperçu et je me suis retourné. C’est là qu’il m’a exposé sa supplique d’une voix enfantine. Même si j’en ai été surpris, j’ai tenté de ne pas le manifester pour ne pas le mettre mal à l’aise. Mais intérieurement, j’ai souri.
Nous voilà de nouveau devant la piscine. Curieusement, aucun de nous ne s’y précipite. Comme si les événements de ces dernières heures planaient encore et nous retenaient de nous laisser aller. Comme si quelque-chose de nouveau s’était produit qui nous incitât à plus de réserve, ou plus de sagesse. Quentin s’est d’abord assis dans l’herbe. Ainsi que Damien. Je me suis assis à mon tour, à quelques encablures de lui. Ce qui a incité Quentin à se relever et à venir s’asseoir juste derrière moi, glissant ses deux jambes autour de mon bassin. Il a ensuite posé ses deux bras sur mes épaules, dans un geste de camaraderie. Il n’a toutefois pas osé m’attirer contre lui… Sébastien s’est posé à côté de nous, en nous faisant face. La conversation a démarré sur je ne sais plus quel sujet. Elle a très vite embrayé sur la mécanique et l’automobile en général. J’ai donc par conséquent très vite décroché et je me suis contenté d’hocher plus ou moins savamment la tête à chaque fois qu’on faisait mine de s’adresser à moi – je ne connais rien à la mécanique, je ne me passionne pas, mais alors absolument pas pour les voitures ; pour moi une voiture est faite pour rouler et m’aider à me déplacer. Après, de savoir sa couleur, sa puissance sous le capot, sa marque et tutti quanti, je m’en tamponne royalement le coquillard ! Je ne comprends même pas qu’on puisse se passionner pour ça… Non pas que je préfère parler chiffon ou d’autres trucs dits « de filles » (alors que les trucs « de voitures » seraient réservés aux garçons), mais je pense qu’il y a un tas de sujets plus captivants que les bagnoles : la politique, les rapports hommes-femmes, la culture, le cinéma, l’architecture, tel ou tel livre, l’histoire, etc., autant de sujets sur lesquels j’aurais vraiment des choses à dire ! Or, en réalité je n’en parle pas parce que ces sujets-là sont rarement abordés et, lorsqu’ils le sont, je n’ose pas prendre la parole… Bref, j’ai toujours autant l’impression d’être en décalage, tout le temps, avec tout le monde – plus que jamais de ne pas être un garçon comme les autres. Et ce matin avec Sébastien, Quentin et Damien ne fait pas exception à la règle, malheureusement. Ce qui ne m’interdit pas de les observer à la loupe, ce que je sais faire le mieux d’ailleurs. Je trouve ainsi extraordinaire de me retrouver pour ainsi dire au milieu d’eux – Quentin collé à moi par-derrière, Sébastien à ma gauche, face à moi, Damien sur ma droite. Et je rappelle que nous sommes tous les quatre à poil !!! Sans qu’aucun de nous ne soit manifestement gêné par cette situation. J’ai la bite de Quentin collée contre ma raie des fesses – j’exagère à peine – j’ai une vue plongeante sur celle de Sébastien – aussi belle qu’il est beau – et chaque fois que je tourne la tête vers Damien, histoire de faire accroire que je participe à la conversation, je peux également admirer la sienne… Que demander de mieux ?!
La discussion prend un nouveau tournant – sans que j’ai bien su ce qui l’a provoqué, je l’avoue – qui incite Sébastien à se déplacer. Il vient maintenant s’asseoir dos à nous – je veux dire, à Quentin et à moi – et s’allonge dans l’herbe en choisissant de poser sa tête sur ma cuisse gauche. Le tout, en continuant le débat apparemment passionné, et passionnant, sur le sujet du moment. J’ai les deux jambes allongées, l’une contre l’autre, mais je commence à fatiguer dans cette position ; aussi, je plante mes bras en arrière dans le sol et, butant contre Quentin, encouragé par lui, je me laisse aller en arrière, venant m’adosser contre son torse. Celui-ci décroche ses mains de sur mes épaules et me les passent autour des hanches, en guise de ceinture, en m’attirant contre lui. Lui aussi poursuit sur un ton animé le débat. Tout ça le plus naturellement du monde.
C’est à ce moment que j’ai vraiment décroché. J’ai laissé mon cerveau vagabonder ; mes yeux ne cessant de scruter le visage de Sébastien, son torse, son ventre, sa bite, revenant à son visage et ainsi de suite. Je crois que je suis dingue de ce type !… En même temps, si je devais choisir entre les trois, je dois admettre que j’aurais un peu de mal ; je ne pourrais pas avoir le droit d’avoir les trois en même temps ? Non ? Il faut vraiment que je choisisse ? Est-ce absolument nécessaire ?
Non, Guillaume, t’es pas d’accord ? Hum ? T’occupe, il a décroché ! Dis-donc, dis carrément que c’qu’on raconte t’intéresse pas ! Hum ? Si, si, j’suis d’accord ! Sur quoi, t’est d’accord ? Damned, je suis pris au piège. Les autres éclatent de rire à la tête d’ahuri que je suis en train de tirer. Un peu de rouge me monte aux joues. Notre ami, Guillaume, était en train d’penser à sa p’tite copine ! Elle te manque, ta p’tite copine ? Tu t’ennuie sans ta p’tite copine ? Quentin prend un malin plaisir à me parler avec un air gnangnan pour me poser toutes ces questions, comme s’il s’adressait à un débile profond. Les deux autres sont hilares. Tu voudrais qu’è’ t’fasse un gros câlin, ta p’tite copine ? Mais elle est pas là, ta p’tite copine ! Oh… ! Tu veux qu’on la remplace, ta p’tite copine ? Et Quentin de commencer par m’embrasser bruyamment sur la joue, avant de me titiller le lobe de l’oreille, puis de me léchouiller la joue, avec sa grande langue baveuse. Ce qui me fait pousser un grand cri de dégoût, accompagné d’un revers de la main pour tenter de m’essuyer. Mais le bougre continue ! Je m’écarte donc en tournant la tête vers lui, histoire de soustraire ma joue à sa langue vorace et dégoulinante : j’ai horreur qu’on me lèche comme ça ! Quentin profite que je me trouve face à lui pour, d’un mouvement aussi soudain que rapide, m’embrasser sur la bouche – avec la langue cette fois ! Et pour être sûr que je ne recule pas d’instinct, il me bloque l’arrière du crâne avec sa main droite, son bras gauche enlaçant mon torse. Je suis tellement surpris que je ne lui oppose aucune résistance. Je ne réponds même pas à son baiser. Mes yeux trahissent mon étonnement. Il prolonge exagé-rément son étreinte, dans les hourras de nos compagnons. Damien fait même mine de chronométrer cet exploit. Quentin se détache enfin et, d’un revers de main, s’essuie la bouche, dans une grande mimique et un râle de satisfaction. Alors, heureuse ? dit-il en prenant une voix profonde. Nous éclatons tous de rire, moi le premier. Bien sûr, je me garde bien de répondre à sa question. Lorsque les rires se taisent, le silence s’installe. Nous sommes chacun perdus dans nos pensées. Quentin reprend sa position initiale et me serre un peu plus dans ses bras. Je me laisse faire.
Au bout de dix minutes, chacun à rêvasser, je tente de me redresser ; j’ai des fourmis dans les jambes. Quentin me retient : il me chuchote dans l’oreille qu’il a une trique d’enfer ! Je sens effectivement son sexe en érection dans le bas de mon dos. Je souris et je ne bouge pas. Finalement, il rompt le silence entre nous. Alors, Seb ? T’es v’nu sans Isa ? Vous êtes fâchés ? Sébastien, qui a tourné la tête vers Quentin – toujours posée sur ma cuisse – lui sourit en guise de réponse. Et au lit, comment ça va tous les deux ? Sébastien se contente toujours de sourire, sans piper mot, mais je m’aperçois que son sourire vire un peu au jaune. En tout cas, ses yeux ont perdu de leur caractère rieur, pour laisser la place à une certain effroi. Manifestement, les questions de Quentin le mettent mal à l’aise. Quentin se lève, sa bite s’est visiblement ramollie ; il vient s’allonger sur l’herbe sur ma gauche. Sur le ventre. Il plante ses coudes dans le sol, son menton à hauteur du bassin de Sébastien. Il fixe ce dernier des yeux en entendant bien continuer son petit manège des questions sentimentales indiscrètes… Alors ? T’as pas répondu à la question ! Elle t’a d’jà fait une pipe au moins ? Et toi, tu prends l’temps des préliminaires ou tu la sautes tout d’suite ? Tu mets un préservatif au moins ?! Ce s’rait dommage qu’un beau p’tit corps comm’ le tiens s’abîme… ! Et de parcourir son bas-ventre en le humant avec son nez. Hum ! Bien appétissant tout ça ! Elle en a d’la chance, Isabelle ! Quentin pose son nez sur la bite de Sébastien et joue au chien fourrant sa truffe partout. Il enfouit son nez dans les poils pubiens de Sébastien – d’une couleur châtain, relativement peu denses. Wouarf ! Wouarf ! Le voilà qui halète et pend la langue, exactement comme un toutou ! Il est très drôle dans cette imitation. Il pose sa tête sur le ventre de Sébastien, tout en continuant de japper. Hum ! C’est doux ! Il se met à ronronner comme un chat, frottant son oreille contre le ventre de Sébastien. Il tente même d’introduire sa langue dans son nombril en se contorsionnant tant et plus. Ce mec adore lécher tout le monde ! Sébastien rit de bon cœur à ses pitreries et n’exprime aucune répulsion. Alors ? Elle a un’ jolie p’tite chatte, ta p’tite copine ? Quentin vient de relever la tête et, langue toujours dehors, se met à titiller le pubis de Sébastien, flirtant avec la base de son sexe ; il l’effleure de la langue, renifle bruyamment dans sa toison pubienne. Sébastien ne peut retenir un geste pour le repousser ; il est devenu écarlate. Alors, ma pupuce ? J’te fais aucun effet ? Cette fois, Quentin pose son oreille sur la bite de Sébastien et la frotte avec application. J’aperçois la main et le bras de ce dernier se tendre de crispation. Il se retient de ne pas écarter davantage Quentin, pour ne pas paraître trop prude. Son sourire s’est figé sur sa bouche. T’es lourd, là, Quentin ! La mise en garde est venue de Damien. Très calmement. Celui-ci le regardait pourtant faire en se marrant comme nous de ses simagrées. A sa réaction, Quentin a relevé la tête, son regard fixant Damien par-delà Sébastien. Toi, ma biche, tu perds rien pour attendre ! Attends qu’j’te fasse subir les derniers outrages à la jeune vierge que tu es ! Mais j’attends qu’ça mon poussin ! Arrgh ! L’échange surréaliste a eu lieu du tac au tac entre eux deux ; il se conclut par une grimace de lion rugissant de Quentin, qui se lève d’un bond et se précipite sur Damien. Ce dernier a cependant eu le réflexe de se lever aussi vite que lui et de prendre ses jambes à son cou. Quentin et lui se courent après, en trottinant autour de la piscine. Ils vont bien finir par tomber dedans ! Evidement, ça ne manque pas et, dans un grand plouf, tous deux se jettent à l’eau et continuent de chahuter dans le bassin.
Sébastien et moi les regardons faire et nous éclatons de rire lorsqu’ils plongent. Nous n’avons pourtant pas envie de les y rejoindre dans l’immédiat. Ils n’y restent d’ailleurs pas longtemps, commençant à être tenaillés par la faim – il est bientôt midi. Ils ressortent. Quentin, bientôt imité par Damien, vient s’ébrouer juste à côté de nous, faisant exprès de nous asperger d’eau. Je le repousse à grands coups de bras sur les tibias, manquant moi-même de perdre l’équilibre. Sébastien rit à gorges déployées. Tous deux repartent vers la table de jardin et décident de relancer les braises du barbecue – qui sont pourtant irrémédiablement éteintes : ils ne manquent pas d’espoir ! Nous restons seuls, Sébastien et moi. Le silence revient, à peine troublé par les exclamations assourdies de nos deux compères, au loin.
Des gouttelettes jonchent le front et le bas des épaules de Sébastien. Je le regarde et, machinalement, je les essuie d’un revers de la main. Il me sourit. Mes yeux se projettent sur la ligne d’horizon. Je fais semblant de prendre un bain de soleil ; je tente surtout de freiner les battements de mon cœur qui s'est une nouvelle fois emballé : je vendrais père et mère pour lui faire l’amour et vivre une histoire torride avec lui ! Quelques minutes s’écoulent. Tu sais ?! On n’a jamais rien fait, Isa et moi ! Je suis surpris par son aveu. Je le regarde droit dans les yeux. Je tente de jouer l’étonnement, mais je sens un élan d’immense tendresse m’envahir intérieurement. J’ai déjà eu l’occasion de dire combien j’ai toujours admiré chez ce garçon sa simplicité et sa franchise naïve à parler ainsi librement de choses si intimes et personnelles. Ce matin encore…
Tu veux dire qu’vous avez jamais dormis ensemble ? Non… ! Pourquoi ? J’veux dire, c’est volontaire ? Mon « pourquoi », une nouvelle fois, a jailli un peu vite ; il était surtout empreint d’une excitation assez malsaine. J’ai donc tenté de corriger le tir. Sébastien prend d’abord le temps avant de répondre ; il cherche ses mots. On préfère pas… ! Enfin… ! J’veux dire… ! J’crois qu’on est pas prêt ! Elle ! …Et moi aussi ! Il se redresse au moment où il prononce ces derniers mots. Il me regarde fixement. Il tente de passer son coude droit entre mes deux jambes pour mieux se cambrer et se tourner dans ma direction. Il me pince la peau sous le genou, ce qui me fait grimacer. Il s’excuse aussitôt avec chaleur. Se repositionne un peu mieux. J’écarte légèrement mes deux jambes. Il pose sa tête sur sa main droite ; son aisselle calée sur mon genou gauche. J’y arrive pas ! J’sais pas comment faire ! J’veux dire : si ! Bien sûr ! J’sais comment on fait… ! Mais… ! J’ai peur d’pas y’arriver ! C’est con, hein ?! Non, c’est pas con ! J’ai répondu calmement à Sébastien, en prenant un air pénétré voulant de toute mes forces le convaincre. C’est p’t-être que t’es pas prêt ! …Ou que c’est pas la bonne personne… ! J’avance mes hypothèses avec prudence, ne voulant pas le heurter, ni être blessant. Ou bien, p’t-êtr’ que c’est trop tôt… ! Ou qu’i’ manque just’ un p’tit que’q-chose pour t’mettre en confiance… ! Enfin… ! J’te dis ça, moi, mais j’suis mal placé… ! Je ne souhaite pas poursuivre. Je me suis trop découvert à mon sens, entraîné ainsi par toutes ces confidences. Or, je n’ai pas du tout envie d’avouer d’autres choses, même à Sébastien, sans savoir d’abord comment il pourrait les prendre…
J’sais pas… ! T’as sûr’ment raison… ! J’ai l’impression d’êt’ nul, parfois… ! J’ai mal là-d’dans ! Il montre du geste l’intérieur de son ventre, en opérant un cercle avec sa main droite. Ca s’bouscule, des fois, dans ma tête… ! J’voudrais un tas d’trucs, mais ça sort pas… ! Du moins… ! Pas c’que j’veux ! J’suis compliqué, tu sais ?! Je souris à sa remarque. S’il savait vraiment, le pauvre ! En fait de compliqué, je le bats à plates coutures, qu’il me croie sur parole… En fait… ! J’ai jamais fait l’amour ! Avec personne ! Enfin… ! Si ! Tout seul ! Mais c’est pas vraiment d’l’amour ! Il rit à cette évocation. Bien qu’il ne paraisse pas autrement gêné. Je redoute néanmoins qu’il m’interroge sur mes expériences à moi, qui sont en tous points identiques aux siennes ! Si ce n’est que, moi, je ne fantasme pas sur une Isabelle ou sur d’autres filles en général. D’ailleurs, est-ce qu’il fantasme, lui, sur Isabelle, finalement ? Si elle était si géniale que ça, elle n’aurait aucun mal à lui ôter sa peur et à le faire passer le coche, non ? C’est quoi, après tout, son blocage ? Arrête de rêver, mon vieux Guillaume, ton esprit s’égare, tu es en train de déraper et de te faire un film. Ce n’est pas Le Titanic, là ! Tu n’es pas Leonardo DiCaprio et Sébastien n’est pas Kate Wintsley ! En plus sexy, pourtant, naturellement !
J’arrête pas d’me poser des questions… ! Sa phrase finit presque dans un soupir. Son sourire a disparu, ses yeux se sont éteints. Il détache sa tête de sa main et la pose sur ma cuisse ; il replie son bras gauche sur le haut de ma cuisse, à quelques millimètres de mes couilles. J’hésite. Je me lance. Je passe ma main gauche dans ses cheveux, tendrement. Je tente de faire accepter mon geste en lui ébouriffant un peu les cheveux. Il lève les yeux vers moi, le regard triste, un sourire timide aux lèvres. Je le recoiffe, lentement, minutieusement. T’es pas nul, Sébastien ! T’es pas nul, crois-moi ! …Surtout pas toi ! Je marmonne cet aveu entre mes dents. Sébastien l’a entendu et, de nouveau, il lève les yeux vers moi. Il me scrute intensément ; je ne lis ni étonnement, ni inquiétude, ni interrogation ou gêne dans son regard, non, plutôt de la gratitude – de la gratitude pour ne pas le considérer comme un zéro, pour ma tentative de lui donner confiance en lui.
Faut pas t’casser la tête ! Ca viendra, tu sais ! Faut pas angoisser ! Et pis, faut pas croire tout ceux qu’i t’disent qu’ils s’envoient en l’air ! En lui disant ça, je ne peux m’empêcher de penser à Quentin et aux apparences… Tu sais ! beaucoup d’entre nous… ! A cet instant, je fais exprès d’employer le pluriel, histoire de ne pas avouer combien ma vie sexuelle est un désert. ...Beaucoup fanfaronnent en f’sant croire qu’ils l’ont fait… ! Ou qu’ils le font tout l’temps… ! Alors que la plupart s’la pètent ! C’est tout ! Non, crois-moi… ! J’ai mis toute mon énergie à énoncer cette affirmation, dont je ne suis pas sûr du réel bien-fondé. Sébastien a l’air en tout cas d’apprécier cette marque de confiance. Il glisse sa main droite sous ma jambe, rejointe par sa main gauche. Il plaque sa tête un peu plus fort contre ma cuisse et la serre. Je le sens s’abandonner, agrippé ainsi à moi. Je le regarde, ému. J’ai la gorge nouée par tant de marque de tendresse.
Nous entendons Quentin nous crier depuis la terrasse de venir les rejoindre : le repas est presque prêt. Sébastien est toujours accroché à ma jambe, sans avoir l’air de vouloir bouger. A-t-il entendu l’appel de Quentin ? Je lui caresse l’épaule de ma main, pour lui faire comprendre la nécessité de se détacher et de se lever. Il lève les yeux vers moi ; j’ai l’impression d’avoir près de moi un petit enfant malheureux d’abandonner son jouet ! Il me sourit. Il se lève, assez péniblement ; ses membres paraissent tout engourdis par l’immobilité. En posant un pied par terre, il pousse un cri de douleur : il a une crampe au fléchisseur. Sa bouche se tord en un rictus. Je m’inquiète. Rassied-toi ! Je tends la main vers lui pour tenter de le soutenir. Il ploie le genou, maintenant son autre jambe tendue en espérant que sa crampe passera d’elle-même. Il perd l’équilibre en restant à cloche-pied. Je l’environne de mes deux bras tendus, sans trop savoir comment réagir. Il décide de se rasseoir – pas n’importe où, mais volontairement entre mes deux jambes !… Je ne peux alors m’empêcher de passer mes bras autour de son ventre et de l’attirer vers moi. Je l’encourage à étendre sa jambe crispée, la droite, sur la mienne, pour la surélever légèrement. Je me plie sur le côté et, étirant mon (long) bras, je lui masse maladroitement la chair autour du tibia. Après quelques instants de cette contorsion, un mauvais mouvement me crée moi-même une douleur dans le bas du dos. J’engage une retraite prudente et je me replace derrière Sébastien, le plaquant contre mon torse. Je perçois qu’il s’abandonne tout contre moi. Nous restons là, sans bouger, insensibles aux appels réitérés que nous lancent les deux autres pour venir à table. Je suis bien, là, le tenant dans mes bras. Je n’ai pas envie que ça s’arrête. J’ai l’impression que Sébastien, non plus, n’en a pas plus envie…
























, il tend d’abord la boîte à chacun de nous – qui nous servons – avant de prendre un gâteau sec à son tour ; nous grignotons ainsi, sans façon. Sébastien tire ensuite du sac une bouteille d’eau, à laquelle il boit avidement. Je la récupère ensuite pour me désaltérer, moi aussi. Nous n’avons, tous, pratiquement, échangé aucun mot.







